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spCe site a été réalisé par Dominique Moulon avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication (Délégation au développement et aux affaires internationales).
spLes articles les plus récents de ce site sont aussi accessibles sur “Art in the Digital Age”.



LE FESTIVAL ARS ELECTRONICA 2006

La ville autrichienne de Linz, comme chaque année en septembre, réunit chercheurs, artistes et visiteurs autour de problématiques artistiques, technologiques et sociétales en accueillant de nombreuses expositions, performances et autres conférences. C’est à Gerfried Stocker et Christine Schöpf, les directeurs artistiques du festival Ars Elctronica, que l’on doit, cette année encore, la thématique principale de l’édition 2006 : Simplicité, l’art de la complexité.

La thématique principale de cet Ars Electronica s’articule autour du symposium intitulé “Symplicity” organisé par l’artiste chercheur américain, d’origine japonaise, John Maeda. Ce qui n’est pas un hasard puisque celui-ci vient de terminer l’écriture du livre “The Laws of Simplicity” dans lequel la loi numéro 1 - que l’on peut aussi lire sur le site “lawsofsimplicity.com“ - nous dit que « la meilleure façon de simplifier un système est d’en supprimer des fonctionnalités. Les lecteurs DVD d’aujourd’hui ont trop de touches si vous souhaitez simplement lire des films. La solution pourrait consister à en supprimer les touches Rembobiner, Avancer, Ejecter, et ce jusqu’à ce qu’il ne reste plus que la touche Lire. Mais que se passerait-il si vous souhaitiez revoir une scène ou arrêter le film pendant que vous prenez une pause, tout aussi importante, à la salle de bain ? La question fondamentale est donc de savoir où se situe l’équilibre entre simplicité et complexité ». Le ton du symposium, se déroulant tout au long d’une journée, est donné. Mais rappelons que John Maeda, qui est chercheur au MIT (Massachusetts Institute of Technology), est aussi artiste. Une visite du site “maedastudio.com”, qui regroupe une multitude d’expérimentations visuelles et interactives, permet d’appréhender l’étendue de ses recherches relatives au Design interactif. Toutefois, dans l’obscurité des sous-sols du musée Lentos : point d’interactivité. Les sept “peintures en mouvement” de la série ”Nature” qui y sont projetées sont davantage destinées à la contemplation. Leur grande taille et leur format allongé évoquent la peinture de paysage. Et John Maeda de nous expliquer qu’il a été inspiré par les expressionnistes abstraits américains lorsqu’il développait l’application pour, selon ses mots, « peindre dans l’espace et le temps ». Quant à nous, nous y imaginons aisément, bien que les animations projetées soient totalement abstraites, quelques phénomènes naturels telle une pluie qui tombe ou de l’herbe qui pousse. Notons que l’époque où John Maeda nous dit avoir « réalisé que le sens, plus que la programmation, est important » coïncide avec son “retour à la nature” !

 

img Michael Aschauer, dun.AV - The Danube Panorama (installation photo multi écrans).

 

Entre nature et paysage

C’est en longeant le Danube que l’on se rend du Lentos au Brucknerhaus où est installé le dispositif multi écrans “dun.AV, The Danube Panorama” de l’artiste autrichien Michael Aschauer. Cette pièce, tout comme le site du projet, permet d’observer le panorama photographique d’une des rives du Danube qui, lentement, défile sur les douze écrans de l’installation. Rappelons que le panorama photographique, durant la seconde moitié du XIXe siècle, constituait déjà un moyen de placer le regardeur en situation immersive. Mais là, c’est le Danube dans son entier qui est cartographié par une photographie qui, régulièrement, se déplace et que l’on regarde comme on contemple le flux inexorable d’un fleuve. On découvre, ou redécouvre, en allant sur le site “danubepanorama.net” que le Danube mesure officiellement 2 857 km, traverse l’Europe d’Ouest en Est et constitue les frontières naturelles d’une dizaine de pays. Or on se souvient, enfant, n’avoir appris que la longueur des fleuves de nos régions. Une Europe se construit et notons au passage, que Linz sera consacrée capitale européenne de la culture en 2009.

 

img John Gerrard, Smoke Tree - A virtual sculpture (dispositif interactif).

 

L’œuvre de l’artiste irlandais John Gerrard intitulée “Smoke Tree” exposée à l’Ars Electronica Center constitue encore un appel à la contemplation. Mais la nature, ici, y est davantage intrigante. Le feuillage d’un chêne, situé au centre de l’écran, produit un gaz grisâtre que l’on identifie instantanément comme un gaz d’échappement, issu d’une combustion. Or, n’est-ce pas cette “anomalie”, pourtant des plus inquiétante, qui accroche notre regard ? Quelle serait donc notre perception des arbres s’ils émettaient des gaz toxiques ?

 

img Martin Frey, CabBoots (chaussures augmentées).

 

La démarche de l’Allemand Martin Frey est tout autre, puisqu’elle a pour projet de nous faire appréhender les sols lisses des villes comme s’il s’agissait de chemins de campagne. Martin Frey part du constat suivant : l’inclinaison de nos pieds, lorsque nous marchons sur les bords d’un chemin de terre, participe à nous informer sur le fait que l’on dévie, ou non, d’un itinéraire naturellement tracé par le passage. L’artiste a donc conçu des prototypes de chaussures que l’on découvre dans l’exposition et dont l’usage est documenté au sein d’une séquence vidéo. Ces mêmes chaussures sont équipées de capteurs, qui, lorsqu’ils identifient un obstacle, influent sur l’inclinaison des semelles. Il devient alors possible de ressentir, sur le béton ou l’asphalte, des sensations proches de celles que l’on ressent en marchant sur des chemins de terre. Le port de telles chaussures réintègre la notion d’érosion, de traces, au sein d’un territoire, la ville, où ils ont totalement disparu.

 

img Jane Mulfinger et Graham Budgett, Regrets (ordinateurs portables en réseau).

 

De l’espace public à l’espace privé

La mobilité est une notion récurrente au sein des festivals et, Ars Electronica cette année encore, n’y échappe pas en regroupant quelques performances sous l’appellation “Mobile City”. “Regrets”, des artistes américains Jane Mulfinger et Graham Budgett, se constitue d’un groupe de quelques personnes équipées d’unités informatiques mobiles qui parcourent la ville en collectant les regrets des passants. Cette opération, au-delà de son aspect métaphorique - on peut en effet se considérer “soulagé d’un regret” dès lors qu’il a été saisi sur un ordinateur situé “sur le dos d’un autre” - recèle un aspect sociologique : la constitution d’une base de données regroupant les regrets de gens, à un endroit et à un moment précis. Il serait en effet intéressant de comparer les regrets collectés durant “Regrets Cambridge” en 2005 et “Regrets Linz” en 2006. Enfin, une visite du site “regrets.org.uk” permet de mieux appréhender l’aspect poétique du projet. Il y va du regret de « ne pas prendre des cours de tennis » à celui de « ne pas avoir dit à son mari combien il comptait ».

 

img Alberto Frigo, Sobject (dispositif interactif).

 

La base de données est un medium dont de nombreux artistes se saisissent, à l’instar d’Alberto Frigo. Celui-ci a intégré, durant deux années, la pratique de la photographie dans sa vie quotidienne en photographiant tous les objets saisis par sa main dominante. La base de données ainsi obtenue permet au visiteur de l’exposition, comme à ceux du site “albertofrigo.net”, de naviguer, par l’image, d’écrans représentant des journées à d’autres regroupant des actions. L’existence d’un homme du 21e siècle y est disséquée par tranches de vies, classifiée par actions, jusqu’aux plus banales d’entre elles. Une mine d’or pour les archéologues de demain et l’opportunité, aujourd’hui, de vérifier l’importance prise dans nos vies des petites cuillères, téléphones portables et autres brosses à dents.

 

img Paul De Marinis, The Messenger (dispositif en réseau).

 

Communication, transmission, mémoire

C’est Paul De Marinis, qui, cette année, a été récompensé par le Golden Nica Art Interactif pour “The Messenger”, un dispositif inspiré du télégraphe, dans lequel des emails destinés à l’artiste viennent s’échouer dans l’espace de l’exposition “CyberArts” localisée à l’Ok Centrum. Les courriers électroniques, provenant d’un serveur, sont épelés, lettre après lettre, sur l’un des trois récepteurs télégraphiques que comporte l’installation. Le premier regroupe 26 bassins de nuit qui émettent, les uns après les autres, les sons correspondant aux caractères des emails décomposés. Le second est constitué de 26 squelettes revêtus de poncho portant les lettres de l’alphabet, qui tressautent lorsqu’ils sont sollicités à leur tour. Quant au troisième, il présente une série de 26 bocaux, remplis d’un liquide à l’intérieur duquel sont immergés des morceaux de métal représentant toujours les mêmes signes typographiques, et produisant successivement des nuages gazeux. “The Messenger” n’est équipé d’aucune forme de mémoire. Ainsi les courriers sont voués à disparaître dès lors qu’ils ont été épelés jusqu’à leur propre fin. En s’inspirant du télégraphe, l’origine des moyens de communication contemporains, Paul De Marinis évoque aussi les très nombreux emails qui viennent d’on ne sait où, pour échouer, par exemple, dans les mailles des filtres Anti Spam de nos serveurs de Mail. Juste à cause de quelques mots tel Rolex ou Viagra.

 

img Carsten Stabenow et Geert-Jan Hoblin, Yocomono / Staalplaat Soundsystem (installation sonore).

 

La problématique de la transmission est également centrale au sein du projet “Yokomono” des artistes Carsten Stabenow et Geert-Jan Hobijn du Staalplaat Soundsystem décliné en installation et en concert. L’installation regroupe plus de 200 postes de radio qui retransmettent les sons émis par quatre petites camionnettes rouges en rotation sur des disques vinyles statiques. Ces mêmes “Vinyl-Killer”, équipés d’aiguilles et de transmetteurs FM, sont alimentés par des piles. Ainsi, l’ambiance sonore, du simple fait de l’usure des disques et des piles, est aussi instable que variable. Rien, ici, n’est véritablement prédictible ni totalement contrôlable.

 

img Kim Yunchul, Hello World ! (dispositif sonore).

 

Le dispositif “Hello Word”, conçu par l’artiste Kim Yunchul et installé à l’étage inférieur, exploite lui aussi la notion de transmission associée à celle de mémoire. Le visiteur, placé en face de l’écran d’une étrange machine tubulaire peut y lire : « Ceci est une mémoire analogique. Le texte que vous lisez circule dans un tube en cuivre de 246 mètres en tant que signal acoustique ». Ces quelques lignes de texte, encodées sous la forme d’un signal audio acoustique, mettent approximativement 0,8 seconde pour aller, via le tube en cuivre, d’un haut-parleur vers le micro qui permet de les reconstituer tant bien que mal. Ce délai peut alors être considéré telle une mémoire. Mais revenons à des choses plus simples en écoutant l’artiste coréen évoquer l’origine de cette expérience : « Un jour, sans m’y attendre, j’ai reçu un colis postal de mon pays d’origine. J’y ai trouvé un gâteau de riz dont la date de péremption était dépassée. Cela m’a clairement fait comprendre combien j’étais loin de mon pays d’origine, tant par le temps que par l’espace ».

 

img Max Dean, Raffaello D’Andrea et Matt Donovan, The Robotic Chair (robot).

 

Quelques êtres virtuels

Ars Electronica ne serait pas Ars Electronica si l’on n’y croisait pas quelques êtres virtuels. Une chaise “augmentée”, tout d’abord, programmée par les artistes canadiens Max Dean, Raffaello d’Andrea et Matt Donovan pour s’effondrer sur elle-même en se disloquant, avant de se reconstituer par elle-même. Une chaise en bois, des plus ordinaire, au début de la performance, subitement, s’effondre dans un grand fracas. Les visiteurs, surpris par le bruit que font les six morceaux qui la composent en tombant sur l’estrade, ont un mouvement de recul. Puis, le public la regarde se reformer lentement. Parfois elle s’arrête, pour réfléchir ! Et c’est généralement sous les applaudissements des spectateurs que “The Robotic Chair” termine sa performance en redevenant une chaise, prête à se disloquer de nouveau. Mais alors qu’elle se reconstitue, aidée pour cela par une caméra vidéo et quelques composants électronique, chacun y va de ses commentaires. Les Français y voient une femelle. Ne dit-t-on pas LA chaise ? Alors que les Allemands imaginent un mal, DER stuhl. Tous, nous nous projetons dans ces quelques morceaux de bois. Et si l’on demande aux artistes s’il lui arrive de ne pas être en mesure de se reconstituer toute seule, ils répondent : « Oui, parfois, alors on l’aide ».

 

img Alan Price, Tartarus (application 3D temps réel).

 

Un autre personnage virtuel, fait de polygones celui-là, ère dans l’espace réduit d’une pièce d’un appartement. Les visiteurs de l’OK Centrum sont invités à le guider en touchant l’écran tactile de cette simulation 3D en temps réel intitulée “Tartarus” et conçue par l’artiste américain Alan Price. L’homme est impassible et porte une chaise. Alors on l’accompagne dans l’escalier qui mène à une autre pièce identique en tout point à la précédente à la différence qu’elle contient une chaise. Reprendre d’autres escaliers, semblables, pour arriver dans d’autres pièces, toutes similaires, où des chaises s’accumulent, étage après étage.

 

img Jan Bitzer, Ilija Brunck et Tom Weber, 458nm (film d'animation 3D).

 

La scène est tout aussi étrange que la rencontre des escargots mécaniques du court-métrage “458nm” qui a remporté le Golden Nica de la catégorie ”Computer Animation / Visual Effects”. Les auteurs, Jan Bitzer, Iliaja Brunck et Tom Weber, tous formés à la Filmakademie Baden Würtemberg, expliquent : « Alors que nous étions à la recherche de nouvelles inspirations, l’un d’entre nous a vu “Microcosmos”, film dans lequel deux escargots font l’amour. La scène était renforcée par une musique classique. Nous étions tous fascinés par ces escargots en mouvement, “s’embrassant”. Tout de suite, l’idée d’adapter cette scène avec des escargots mécaniques nous a traversé l’esprit». Ces images, qu’hier encore nous qualifiions “de synthèse”, continuent donc de nous fasciner, même si elles n’ont aujourd’hui, du simple fait de leur banalisation, plus que le statut d’images.

Article rédigé par Dominique Moulon pour Images Magazine, novembre 2006