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INTERVIEWS
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DES ETINCELLES, DES PIXELS ET DES FESTIVALS Trois expositions aux approches différentes abordaient récemment l’usage des technologies et médias numériques dans le champ de l’art : “De l’étincelle au pixel” au Martin Gropius Bau et “Conspire”, organisée par le festival Transmediale, toutes les deux à Berlin et, enfin, “Exploding Cinema” durant le Festival International du Film de Rotterdam. Le sous-titre de l’exposition “De l’étincelle au pixel” est d’une relative clarté : “Art + nouveaux médias”. C’est pourtant avec une pièce datant du milieu des années 70 des plus “Low Tech”, que Richard Castelli ouvre son exposition. L’installation s’intitule “Candle TV” et évoque la fascination critique des artistes de la fin du siècle dernier pour les médias. Son auteur, Nam June Paik, a remplacé l’intégralité des entrailles électroniques d’un téléviseur par une bougie dont la simple flamme rivalise encore avec le flux des images.
Représenter le temps
Les Allemands Dirk Lüsebrink et Joachim Sauter questionnent, eux aussi, le rapport entre l’image et le temps dans une série de travaux initiés durant le milieu des années 90 : “The Invisible Shapes of Things Past”. Leur matériau de base est encore filmique, mais les artistes réorganisent les images, préalablement acquises, au sein d’espaces tridimensionnels. Des séries entières de photographies sont repositionnées sur les trajectoires des caméras qui les ont capturées. Ainsi, un travelling avant devient cube durant qu’un panorama est converti en cylindre et un zoom en pyramide aplatie. Les enveloppes de ces mêmes objets temporels, striées par le temps qui s’est écoulé, sont semblables aux carottes des géologues où chacune des couches qui les compose témoigne d’une unité de temps. Et c’est par la combinatoire qui fait se succéder divers mouvements de caméra que les artistes obtiennent des sculptures davantage complexes. Des instantanés où les mouvements de caméra semblent avoir été pétrifiés dans l’espace, figés dans le temps par quelques subites éruptions.
Performances audiovisuelles Quittons Berlin pour le Festival International du Film de Rotterdam qui regroupait plusieurs expositions, toutes localisées sur Witte de Withstraat, sous l’intitulé “Exploding Cinema” et questionnant par conséquent quelques “autres” cinémas. C’est au sein des locaux du V2_ Institute, spécialisé dans les médias instables, que l’on retrouve Ulf Langheinrich avec une performance datant de l’époque où celui-ci collaborait avec Kurt Hentschläger. Et c’est du reste au V2_ Institute que les deux membres du collectif Granular Synthesis, en 1996, avaient donné la performance “Model 5” pour la première fois.
L’image vidéo projetée, d’une dizaine de mètres de large, est découpée en quatre parties qui, tout au long de la performance, sont occupées par le visage de l’artiste performeuse Akemi Takeya. Les cadrages sont serrés et les expressions sont multiples. Ulf Langheinrich et Kurt Hentschläger ont isolé une multitude de séquences, après avoir filmé la jeune japonaise, pour en extraire les boucles audio vidéo de quelques fractions de secondes qu’ils ont enfin ré-assemblées. Ainsi, la répétition des visages dans l’espace de l’image est renforcée par celle des séquences dans le temps auxquelles des sons font écho. Et puis il y a les expressions des visages qui expriment une panoplie de sentiments allant de la sérénité, lorsque les yeux sont clos, à la souffrance, quand les bouches sont crispées. Mais c’est entre les images que tout se passe, lorsque la persistance rétinienne nous permet de reconstituer des visuels qui ne s’impriment que dans nos pensées. De ces visages en fibrillation, nous ne retenons que ceux qui correspondent à l’état de notre inconscient de l’instant. Quant au silence de l’après-performance, dans le public, il ne dure que le temps dont disposent ces mêmes visions fantomatiques pour se dissiper.
Souffrances et tortures
Traversons de nouveau Witte de Withstraat pour nous rendre au MAMA dont les initiales signifient : Media And Moving Art. Une exposition y est articulée autour de l’installation interactive “Sho(u)t” de l’artiste français Vincent Elka. Je connais cette pièce pour être “passé à côté” quelques mois auparavant. Aussi, je suis résigné, cette fois-ci, à entrer en contact avec l’avatar de cette femme vidéo projetée au fond de la pièce. Mais il faut tout d’abord que j’ose monter sur la petite estrade qui est disposée face à son imposant visage. Quant à elle, elle attend dans une ambiance sonore qui évoque celle des salles de réveil. Ainsi, je lui parle dans le microphone destiné à cet effet, mais elle ne réagit guère. Alors je me mets à crier. Après tout, l’œuvre s’appelle “Sho(u)t” ! Et c’est alors que la machine réagit en plaçant des éléments graphiques en révolution autour de sa tête. L’image, parfois, se brouille comme celle d’un moniteur en perte de signal, mais la communication est loin d’être rompue. Plus je crie, plus elle s’anime, plus elle s’énerve. Le rythme des sons s’accélère durant que le volume s’amplifie. Tout ici m’encourage à crier plus fort encore jusqu’au moment où je me remémore ce passage du film “I comme Icare” d’Henri Verneuil lorsqu’un homme en torture un autre sous prétexte de quelques recherches. L’univers scientifique, ici, a fait place à celui de l’inévitable “Black Box”, mais je n’en suis pas moins piégé ! Il est grand temps de quitter Rotterdam pour retourner à Berlin où se tient la 21e Transmediale. Le festival a réintégré la Maison des Cultures du Monde après deux années passées à l’Académie des Beaux Arts. Les conférences, performances et autres expositions, dont celle intitulée ”Conspire” organisée par la curatrice Nataša Petrešin-Bachelez, s’articulent autour de la notion de conspiration. On y attend donc des œuvres se situant entre l’art et le politique. Quant au nouveau directeur artistique de la Transmediale, Stephen Kovats qui vient du V2_ Institute de Rotterdam, c’est à Marcel Duchamp qu’il emprunte une autre notion pour évoquer la conspiration : l’inframince, définie par son auteur tel un « seuil fragile et ultime qui sépare la réalité de sa totale disparition ».
L’art du détournement
Il y a, à l’entrée de l’exposition, une pièce au sol d’Olga Kisseleva intitulée “Cross Worlds” qui est semblable à celle qu’elle a placée temporairement à l’abbaye de Maubuisson. Il s’agit, dans les deux cas, de Tags ou semacodes, des pictogrammes qui délivrent les messages qu’ils recèlent à ceux qui les photographient à l’aide de téléphones mobiles équipés de logiciels de décryptage. Une technologie à l’avenir commercial assurée et dont les artistes, à l’instar d’Olga Kisseleva, se saisissent déjà. Une technologie qui permet de dissimuler quelques messages, ici ou là, dans cet “inframince”, aux frontières du visible. L’artiste, du reste, s’intéresse aussi à l’invisible lorsqu’elle sollicite un laboratoire de mesure des hyperfréquences, toujours à l’abbaye de Maubuisson, pour dresser quelques cartographies des forces électromagnétiques invisibles qui, chaque jour davantage, nous entourent.
Les nouveaux bureaux
« Les scénarios apocalyptiques prophétisant la fin de notre monde surpeuplé justifient les expérimentations démiurgiques du monde devenu laboratoire », nous disent Léonore Bonaccini et Xavier Fourt, les membres du collectif français Bureau d'Etudes. Leur projet, présenté sous la forme d’une installation vidéo à la Transmediale, se nomme “End of Secrecy”, mais est aussi accessible en ligne à l’adresse “laboratoryplanet.org”. Il consiste à cartographier la planète en révélant une multitude d’entités dont les activités de recherches sur les technologies les plus diverses étaient tenues secrètes. Des cartes, qui régulièrement se rafraîchissent, sont ainsi peuplées des pictogrammes qui les révèlent. C’est là la fin du secret. La deuxième phase du projet devrait mettre en évidence le tissu des relations établies entre laboratoires de recherches et autres complexes industriels ou militaires déjà extirpés du secret. « Depuis la Seconde guerre mondiale, le monde se transforme progressivement en laboratoire à l'échelle 1 », nous disent encore les membres de Bureau d'Etudes », avant d’ajouter enfin : « Au modèle du “monde usine” s'ajoute désormais un modèle de “monde laboratoire” ». Notons que l’œuvre “End of Secrecy”, dans sa dimension Internet, est issue d’une collaboration entre les artistes de Bureau d’études et les développeurs de Labomedia, l’un des 115 Espaces Culture Multimédias français dont certains sont sur le point de fermer suite au désengagement du ministère de la culture vis-à-vis de ce type de structure. Il serait pourtant regrettable, à l’heure où les artistes numériques vivant et travaillant en France sont de plus en plus présents à l’international, que ces derniers perdent progressivement l’appui de telles entités, souvent associatives, tant du point de vue des ressources humaines que de celui des dispositifs de résidence ou de diffusion. À suivre sur le site de la Fédération Nationale des Acteurs "Culture Multimédia"… Article rédigé par Dominique Moulon pour Images Magazine, mai 2008
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