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LES ARTS NUMERIQUES A NEW YORK Les grandes institutions muséales, en France, semblent encore peu préoccupées par l’intrusion des technologies numériques dans l’art. Quelques galeries parisiennes, depuis peu, tentent pourtant de mettre en avant les créations d’artistes usant de ces mêmes technologies. Et c’est au sein de festivals que, depuis une quinzaine d’années, le public français peut se confronter à des œuvres d’art numériques. Mais qu’en est-il outre-Atlantique, à New York ? En ce mois d’avril 2004, le MoMA (Museum of Modern Art) est encore fermé pour cause de rénovation, mais organise plusieurs expositions au P.S.1 (Contemporary Art Center), dans le Queens. Parmi les nombreuses installations, peintures et vidéos, aucune œuvre ne peut-être qualifiée de numérique !
C'est l’époque de la biennale au Whitney Museum, en ce printemps 2004, et toutes les informations concernant cet événement sont accessibles à l’url “whitney.org”. Une autre adresse, “whitneybiennial.com”, pourrait laisser penser qu’il s’agit du site officiel, mais il n’en est rien. C’est, en effet, l’artiste Miltos Manetas qui a déposé ce nom de domaine pour inviter sur ce site des artistes à exposer leurs travaux “Neen” en ligne au moment de la biennale, comme se fut déjà le cas en 2002. La culture “Neen”, selon Miltos Manetas, n’est autre qu’un état d’esprit. « Des artistes, comme Lucio Fontana qui faisait de la peinture en entaillant simplement la toile, étaient Neen avant Neen », explique-t-il. Cette attitude qui procède du détournement participe de ce que l’on nomme les “médias tactiques”. Mais revenons à la biennale officielle qui, sur la centaine d’œuvres d’artistes ou de collectifs exposés cette année, ne présentait que 4 travaux qui faisaient réellement appel aux technologies du numérique, dont 2 en ligne !
“Learning to love you more” est un site participatif que l’on doit à l’association des artistes Harrell Fletcher et Miranda July. Ces derniers y proposent des missions tel “prendre une photographie du soleil” (#27) ou “réaliser une réplique, en papier, de votre lit” (#16). Ces artistes invitent tout un chacun à collaborer à cette aventure collective en envoyant, par email, le fichier numérique du défi relevé. “The secret lives of numbers”, de Golan Levin, est aussi présenté sur Internet. Il s’agit d’un applet Java qui permet de visualiser la popularité de certains nombres se situant entre 0 et un million. Ainsi, 911, 1492, 68040… sont plus fréquemment utilisés que d’autres, parce qu’ils sont associés à une marque, évoquent une date historique ou nomment un composant électronique… L’instantané numérique d’une conscience collective qui résulte de cette recherche exhaustive et empirique n’est autre, selon l’artiste, qu’un un reflet de notre culture.
Deux des travaux présentés à la biennale constituaient des détournements de jeux vidéos. Parmi eux, “Velvet-Strike” était présenté sur deux écrans : l’un affichait le site des artistes Brody Condon, Joan Leandre et Anne-Marie Schleiner, alors que l’autre était dédié au célèbre Mod en ligne, du jeux vidéo Half-Life, nommé Counter-Strike. A l’aide de leur site Web, ces artistes invitent les joueurs appartenant à des clans terroristes ou anti-terroristes, à concevoir des graffitis contre la guerre. Les images créées sont ensuite converties en un format de fichier compatible avec l’application Counter-Strike, puis sont téléchargeables sur le site “Velvet-Strike”. Dès lors qu’elles sont enregistrées dans un répertoire précis, le joueur peut les projeter sur les sols, murs et plafonds de l’espace virtuel du jeu en ligne. Cette appropriation est une des réactions à la politique anti-terroriste de George Bush. Le pouvoir du jeu vidéo, ici, semble avoir remplacé celui des fleurs. ”Super Mario Clouds” est un autre détournement signé Cory Arcangel. Tel un hacker, celui-ci, explique sur son site Web comment modifier la cartouche Nintendo du jeu Super Mario Brothers. Sur les murs du Whitney Museum, il ne reste plus que quelques nuages blancs qui, lentement dans le silence, évoluent sur un bleu azur. Quoi de plus naturel, dans ce musée d’art américain, que d’exposer la représentation d’un ciel bleu dont le calme pourrait évoquer les paysages d’un Thomas Eakins !
La fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie s’est associé au musée Guggenheim pour organiser l’exposition “Seeing Double : Emulation in theory and practice” et publier l’étude téléchargeable sur le site “variablemedia.net” “L'approche des médias variables : La permanence par le changement”. Cette exposition est l’occasion, pour les trois commissaires, de poser les bases théoriques d’une réflexion concernant la conservation et la monstration des œuvres d’art électroniques. A l’instar d“I shot Andy Warhol” de Cory Arcangel, il est en effet des œuvres qui doivent d’être présentées sur des machines spécifiques. L’obsolescence du revolver avec lequel le public tire sur l’icône d’Andy Warhol lorsqu’elle apparaît furtivement à l’écran participe des codes esthétiques installés par l’artiste. D’autres travaux, en revanche, peuvent être visualisés sur un matériel plus récent, mais sous des émulateurs. C’est le cas de ”Jet Set Willy”. JOan Heemskerk et DIrk Paesmans (JODI) ont reprogrammé un jeu de Jump’n’run des années 80 pour en générer une dizaine de variations. ”Jet Set Willy” a été conçu pour fonctionner sur la console Sinclair ZX Spectrum, mais les versions modifiées par JODI, accompagnées de leurs émulateurs, sont téléchargeables à l’adresse : “jetsetwilly.jodi.org”.
D’autres travaux sont mis en confrontation dans cette exposition. Les “Color Panels”, des animations aux couleurs vives développées par John Simon et installées, par ce dernier sur des écrans LCD extirpés d’ordinateurs portables font face à une pièce ancienne de Nam June Paik : “TV Crown”. La simplicité de cette dernière, de 1965, qui fait s’entrecroiser à l’infini deux sinusoïdales sur un moniteur vidéo, nous rappelle que les idées les plus simples sont aussi parfois les plus efficaces. Enfin, trois ordinateurs de générations différentes appartenant à Mary Flanagan permettent d’observer “Phage” en plein travail. Il s’agit d’une application développée par l’artiste qui, après avoir scanné le contenu d’un disque dur, affiche, en 3D temps réel, textes et images sélectionnées aléatoirement dans la mémoire de l’ordinateur hôte. Ce logiciel peut être téléchargé à l’adresse “maryflanagan.com” et ainsi, faire ressurgir les bribes d’une histoire que nous partageons avec nos propres machines. Mais sur l’un des ordinateurs de Mary Flanagan, le 15 avril dernier, Windows affiche une fenêtre de dialogue invitant à redémarrer. Un gardien est là, mais semble impuissant, aussi une question se pose : les grandes institutions muséales possèdent-elle, aujourd’hui, la logistique nécessaire à la monstration d’œuvres numériques ?
Il existe à New York quelques “Not-for-profit art centers”, des organisations artistiques à but non lucratif spécialisées dans l’enseignement des nouveaux médias, l’accueil d’artistes numériques en résidence et l’exposition de travaux mettant en œuvre de nouvelles technologies. Les plus connus sont l’Eyebeam, Location One, Harvestworks et The Kitchen. Dirigé par le Français Benjamin Weil, l’Eyebeam n’existe que depuis quelques mois. Et, en ce printemps 2004, ce dernier prépare sa prochaine exposition en collaboration avec l’AMMI (American Museum of the Moving Image) et le festival autrichien Ars Electronica. Depuis quelques années, Chelsea accueille un nombre considérable de galeries d’art contemporain, parmi lesquelles Postmaster, Bitforms, Sandra Gering et Universal Concepts Unlimited exposent régulièrement les travaux d’artistes exploitant les technologies du numérique. En ce mois d’avril 2004, Magdalena Sawon et Tamas Banovich ont confié l’espace de la galerie Postmasters qu’ils dirigent à l’artiste newyorkais Paul Johnson. Intitulé “Score”, l’exposition met en scène des installations multimédias conçues comme des jeux vidéo. Mais ici, ce sont les machines qui “jouent” en temps réel devant les spectateurs. “Budaechigae” compte parmi les pièces exposées. Conçue en collaboration avec Sunny Kim, cette œuvre tire son nom d’une soupe élaborée à partir de restes des rations de militaires américains pendant la guerre de Corée. Les deux artistes ont créé leurs propres avatars avant de leur insuffler la vie en les soumettant à des comportements qui les rendent autonomes. Le personnage de Sunny Kim est une écolière coréenne alors que Paul Johnson s’est imaginé en jeune soldat américain. Les deux avatars évoluent dans un paysage virtuel en 3D temps réel, s’éloignent et se rapprochent alternativement l’un de l’autre et semblent communiquer. Il n’y a pas de son. Que peuvent-ils se raconter ? Ce pourrait bien être une histoire d’amour impossible qui se déroule devant nos yeux.
A l’issue de cette semaine passée à New York, on ne peut que constater l’intérêt que portent commissaires d’exposition et galeristes aux travaux qui se situent entre art et jeu vidéo. Ce qui est somme toute logique puisque le jeu vidéo représente, pour la nouvelle génération d’artistes qui arrive, une véritable culture. Et cette tendance est loin d’être spécifiquement newyorkaise, ou même américaine… Quant à l’état général des arts numériques à New York, qu’évoque cet instantané, il n’offre que peu de différences avec celui que l’on connaît à Paris ou en France, aussi tout reste à faire. La réalisation de cette enquête a été grandement facilitée par les nombreux contacts fournis par Kathy Brew (commissaire d’exposition et enseignante à la School of Visual Arts de New York) et la logistique apportée par Nicolas Rapp (journaliste à Associated Press New York).
Article rédigé par Dominique Moulon pour Images Magazine, juillet 2004
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