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LE FESTIVAL SONAR 2006 Le festival Sonar, chaque année, réunit DJ’s, VJ’s, Performers et artistes multimédia du monde entier durant 3 jours à Barcelone. En juin dernier, cette treizième édition permettait au public de découvrir de nouveaux instruments musicaux comme d’appréhender des notions, telle la mobilité ou la cartographie, au sein de dispositifs artistiques avant d’assister, dès la nuit tombée, à de multiples performances audio vidéo et autres concerts de musiques Disco, Hip Hop ou Electro. Plusieurs centres d’art localisés dans le centre historique de Barcelone sont regroupés, durant le festival, sous le nom “Sonar By Day”, alors que les principales scènes, situées en périphérie de la ville, participent du ”Sonar By Night”. Ce qui fait lien entre ces différents sites n’est autre que l’identité visuelle qui repose sur quelques images, généralement des photographies, sélectionnées selon la thématique de l’année par le directeur artistique Sergio Caballero. Les visuels annonçant le Sonar 2006 évoquent la nature morte, ce qui est figé, sans vie. Ici quelques fruits déposés sur un plan horizontal et là des quartiers de bœufs suspendus dans un abattoir. Alors qu’en 2002, pour exemple, il s’agissait de différents portraits du footballeur argentin Diego Maradona !
L’émergence de nouveaux instruments musicaux C’est en bas de La Rambla que se situe le Centre d’Art Santa Monica qui accueille l’exposition Sonorama présentant notamment l’installation sonore interactive “ReacTable”, conçue par les artistes Sergi Jordà, Günter Geiger, Martin Kaltenbrunner et Marcos Alonso. Le dispositif se présente sous la forme d’un plan circulaire horizontal qui peut accueillir jusqu’à quatre participants et permet à tous les publics de jouer des sons, ou de la musique, en déposant comme en déplaçant des objets aux multiples formes. Le plan circulaire joue aussi le rôle d’écran en affichant en temps réel des animations aidant à la compréhension de ce qu’il convient de nommer “instrument” et qui peut aussi être exploité par des Performers lors de spectacles audio visuels. Ajoutons à cela que plusieurs ReacTables peuvent être connectées localement ou via Internet. Cet instrument de musique électronique d’un nouveau genre est intéressant à de multiples égards. Son interface, totalement intuitive, le met à la porté des enfants comme des publics non spécialisés. Il a le mérite de réintégrer le corps de l’instrumentiste à une époque où les concerts de Laptop participent d’une forme de désincarnation de la musique. Il devient, lorsqu’il est partagé, hautement collaboratif. Et enfin, la reacTable, même pour ceux qui connaissent bien le principe de la reconnaissance vidéo autour duquel elle a été conçue, préserve sa part de “mystère” dès lors qu’on inter agit sur des sons à l’aide d‘objets que seules de petites animations colorées semblent relier.
En soirée, le Centre d’Art Santa Monica accueille des artistes Performers tel le Japonais Toshio Iwai. Ce dernier, dont les recherches portent notamment sur la mise en relation des images et des sons, est accompagné par deux de ses assistants lorsqu’il arrive sur scène. Chacun joue d’un instrument conçu par l’artiste. Toshio Iwai est équipé de deux consoles Nintendo DS et joue avec “Electroplankton”, un jeu vidéo musical qu’il a développé pour Nintendo où de petits planctons électroniques émettent des sons lorsqu’ils sont effleurés par le stylet. Yu Nishibori joue d’un instrument de musique électronique conçu pour Yamaha, le “Tenori-on”, qui affiche une trame lumineuse réagissant au touché de la main. Et enfin, c’est Naoaki Kojima qui est en charge du “Sound-Lens”, un instrument qui convertit la lumière en son préalablement développé par Toshio Iwai lors de la réalisation d’une de ses installations sonores interactives. Ce qui se joue sur scène semble avoir été composé, bien qu’une part non négligeable d’improvisation inhérente aux pratiques en temps réel soit préservée. Mais ce qui est le plus impressionnant reste le jeu des instrumentistes qui extirpent des sons de ces instruments d’un nouveau genre. Ainsi, le public tente de décoder et de décrypter ces mêmes pratiques émergentes par l’observation de gestualités encore inédites.
Il y a aussi le vernissage, en cette même soirée, d’une exposition de l’artiste Français Arno Fabre à la Fondation Joan Miro qui, cette année, s’est associée à l’événement. Celui-ci a installé “Dropper01”, un dispositif sonore qui repose sur la chute, contrôlée numériquement, de gouttes d’eau sur de multiples matériaux. Pourtant, d’un point de vue strictement sculptural, “Dropper01” se suffit à elle-même, dans le silence. Des objets les plus divers, un plat à tagine ou des pots de fleurs, sont détournés de leurs usages originels et disposés en cercle dans un environnement obscur. Dès lors que la machine libère des gouttes d’eau selon les fréquences d’une partition préalablement écrite, les 8 sculptures se métamorphosent en autant d’instruments à percussion. Le son amplifié participe alors d’une musicalité qui évoque autant des sonorités du Sud Est Asiatique que des rythmes africains ou empruntés à la musique répétitive américaine. Et puis il y a les accidents qui nous rappellent que jamais l’homme ne parvient à contrôler totalement les éléments. Enfin, la machine, le chef d’orchestre, émet des bruits presque imperceptibles qui sont comparables à ceux que font les archets sur les violons entre deux notes!
Entre mobilité et cartographie C’est en remontant La Rambla, que l’on accède au CCCB (Centre de Cultura Contemporánea de Barcelona), accueillant l’exposition Sonar Matica dont la thématique principale “Always On” repose sur les notions de mobilité et de cartographie. On y découvre notamment une vue aérienne du Sud de Londres titrée “Meridians” et signée Jeremy Wood. Ce dernier, équipé d’un GPS (Global Positioning System), a enregistré son parcours le long du Méridien de Greenwich qui sépare arbitrairement les hémisphères Est et Ouest. Jeremy Wood, en se déplaçant dans l’espace, se transforme en outil de dessin lorsqu’il inscrit dans le paysage une phrase d’Herman Melville tirée de Moby Dick « It is not down in any map ; true places never are ». Cet assemblage de caractères typographiques s’inscrit dans la durée d’une journée. Il est des signes qui sont parfaitement dessinés alors que d’autres, au détour d’un parking ou d’un cimetière, sont davantage maladroits. Ces multiples accidents sont comparables à ceux que les irrégularités du revêtement d’une route engendrent lorsque l’on tente d’écrire en voiture. Mais là, c’est le corps dans son entier qui semble trembler, hésiter. Et puis il y a cette phrase qui, à une époque où l’on pense être en mesure de visualiser l’intégralité de la planète à grand renfort de satellites, de bases de données et d’applications temps réel, nous rappelle que les vrais lieux ne sont jamais inscrits sur les cartes.
Nombreux sont les artistes qui, à l’instar de Christian Nold avec son projet intitulé “Bio Mapping”, détournent les technologies de notre temps. Ce dernier propose de cartographier les émotions en croisant les données émises par une personne, équipée d’un système GPS et d’un capteur permettant d’enregistrer les modifications de l’état de la peau de son doigt, avec celles d’une application telle Google Earth. Le promeneur, au terme de son parcours, a donc la possibilité d’observer l’évolution de son niveau d’excitation, représenté en trois dimensions, sur une photographie aérienne. Celui-ci a ainsi l’opportunité de vérifier l’influence d’une affiche ou du bruit des voitures sur son état de stress. À l’inverse du détecteur de mensonge, toutes ces informations lui sont destinées. On peut imaginer de proposer ce type d’expérience à plusieurs personnes d’un même quartier, d’une même ville, allant jusqu’à rêver l’établissement du bilan quotidien des émotions des habitants. Et Christian Nold d’ajouter : « Peut-être verrions-nous nos villes d’une autre manière ».
Allons plus en avant dans la démesure avec le projet “gPod / G-Player” de l’Allemand Jens Brand qui propose quant à lui d’écouter la planète sur un iPod. L’artiste Performer a conçu un modèle tridimensionnel de la planète dont la surface peut être scannée par l’un des satellites d’une base de donnée qui en compte plus de 1000. « La terre est un disque, nous dit-il avant d’ajouter : Le “gPod / G-Player” fonctionne comme un lecteur de disque ou de CD ordinaire mais, plutôt que de lire des disques de vinyle ou des CD, il ne lit rien de moins que la Terre ». Il suffit en effet de sélectionner un des satellites que propose cet iPod détourné pour écouter la Terre dans ses écouteurs. Les mers sont interprétées par des silences, les plaines par des hautes fréquences et les montagnes par des basses fréquences. L’artiste, lorsqu’il présente son lecteur, est en costume, les prospectus sont en quadrichromie et les accroches répondent aux codes du Marketing : “One Planet, One Player”!
D’animations en installations L’animation, cette année, est particulièrement présente, sous la forme de courts-métrages dans la salle de projection du “SonarCinema”, comme en installation au sein des expositions “Sonorama” et “Animated Sories”. Notons que cette dernière exposition accueillie par le CaixaForum et regroupant des pièces où l’animation prend des dimensions critiques ou métaphoriques, devrait être présentée au Studio National d’Art Contemporain, Le Fresnoy, du 26 janvier au 11 mars 2007. C’est Lars Arrhenius qui fait lien entre le Centre d’Art Santa Monica et le CaixaForum puisque celui-ci présente trois animations dans ces deux lieux : “The Man Without Qualities” raconte la vie d’un homme allant de la naissance à la mort, “Habitat” une tranche de vie des habitants d’un même immeuble et “The Street” la journée des gens d’un même quartier. Le style de l’artiste est immédiatement reconnaissable puisque tous les personnages de ces films sont représentés par des pictogrammes que les graphistes spécialisés dans la signalétique connaissent bien. Tout, dans le travail de Lars Arrhenius, nous évoque une société standardisée au sein de laquelle un rituel inexorablement en appelle un autre. Dans “The Man Without Qualities”, les personnages se marient avant d’avoir un enfant, dans “Habitat” ils font le ménage avant de déjeuner et dans “The Street”, ils regardent la télévision avant d’aller se coucher. Même le langage, réduit à quelques sons tout autant stéréotypés, y est standardisé. Mais, à bien y regarder, l’auteur autorise quelques échappatoires à ces acteurs : l’alcool, le sexe…
Bon nombre des animations que regroupe l’exposition “Animated Sories” sont présentées en installation et c’est sur le sol du CaixaForum que Paul Kaiser et Shelley Eshkar projettent “Pedestrian”, où de petits personnages évoluent au sein d’un espace urbain reconstitué. Tout ici n’est que synthèse, bien que les mouvements des minuscules passants soient des plus vraisemblables. On est donc peu surpris d’apprendre que les deux artistes ont exploité des systèmes de “Motion Capture” pour insuffler vie aux lilliputiens qui arpentent les trottoirs. Un des attraits principaux de cette pièce réside dans le fait que le spectateur partage un même sol avec les passants vidéo projetés. Ainsi, les ombres portées se mêlent entre elles et les histoires propres aux spectateurs viennent perturber les chorégraphies urbaines qui se jouent à leurs pieds.
Le travail de William Kentridge, à l’entrée du CaixaForum, prend une place considérable puisque “Journey to the Moon” ne nécessite pas moins de 9 projecteurs vidéo. Le film, projeté dans son intégralité au sein d’une unique projection n’est autre qu’un hommage au pionnier des trucages cinématographique Georges Meliès, alors que les autres projections permettent de s’immerger dans l’univers de l’artiste Sud-Africain en explorant les diverses phases de création de son film. Les trucages, bien que d’une grande simplicité y sont multiples allant de l’inversion temporelle aux apparitions disparitions. D’un presque rien, William Kentrige nous fait voyager : une tasse à café sert de télescope, une cafetière se métamorphose en fusée et des fournies, projetées en négatif, les unes derrières les autres, semblent dessinées quelques possibles trajectoires entre Terre et Lune. La connaissance, représentée par un livre, y est confrontée au doute, celui de l’artiste qui arpente sans cesse son atelier. L’aspect Low Tech des effets internes aux séquences en noir et blanc associé aux animations image par image renforce l’idée d’intemporalité qui se dégage de cet environnement vidéo. Cette pièce de William Kentridge apparaît alors tout à fait appropriée au discours des commissaires de l’exposition selon lesquels l’animation est une pratique que de plus en plus d’artistes contemporains s’approprient. Article rédigé par Dominique Moulon pour Images Magazine, septembre 2006
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