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CAPTATIONS ET TRAITEMENTS TEMPS REEL La captation des gestes et mouvements, associée à un traitement en temps réel des informations collectées, est une pratique artistique en très nette expansion. Chaque année, en divers lieux allant des espaces d’exposition aux salles de spectacle, davantage d’artistes, musiciens, chorégraphes ou metteurs en scène intègrent des dispositifs de captation au sein de leurs créations. Ainsi, les uns élaborent des interfaces homme/machine alors que d’autres participent de ce que l’on nomme l’“augmentation” des objets ou des instruments comme du jeu des acteurs ou des danseurs. Expérimenter une œuvre interactive à l’aide de son propre corps, souvent, induit l’exploration de cet interstice qui précède le déclenchement de quelques actions. Alors on se souvient des créations artistiques sur CD-ROM du début des années 90 que l’on parcourait équipé de ce périphérique d’entrée si peu naturel qu’est la souris d’ordinateur. Mais il convient toutefois de rappeler que l’usage des capteurs, notamment dans l’industrie, est bien antérieur à l’ère du numérique. Dès 1919, le musicien et physicien russe Léon Theremin inventait un instrument de musique, constitué de deux antennes reliées à un boîtier électronique, qui ne nécessitait aucun contact physique durant son utilisation. L’interprète, sans jamais toucher cet instrument qu’est le Theremin, contrôle la hauteur de la note par les mouvements de sa main droite et son volume par les mouvements de sa main gauche. Mais il faut attendre 1956 pour constater l’usage de capteurs au sein d’une œuvre qui constitue, selon Jean-Noël Montagné, le fondateur de l’association Art Sensitif, « la première sculpture interactive autonome ». Elle se nomme “Cysp 1” (acronyme de CYbernétique-SPatiodynamique) et est issue des recherches de l’artiste Nicolas Schöffer. Lorsque, toujours en 1956, “Cysp 1” intègre le Ballet de Maurice Béjart durant le temps d’une représentation, elle inter agit avec les danseurs et danseuses qui évoluent sur le toit de la Citée Radieuse de Le Corbusier. Equipée d’un cerveau électronique, de cellules photoélectriques et de microphones, cette sculpture réagit aux modifications de son environnement lumineux et sonore par des déplacements et par la mise en mouvement des plaques colorées qui la constituent.
Capteurs, applications et ressources Depuis le milieu des années cinquante, et surtout durant ces quinze dernières années, bon nombre d’artistes ont conçu des dispositifs interactifs induisant la participation des spectateurs. L’établissement des cahiers des charges de tels projets n’est pas sans poser quelques questions relatives aux types de captation comme aux méthodes de traitement. Il est, au-delà des microphones et caméras dédiées à l’acquisition des sons et des images, une multitude de capteurs qui servent à mesurer des niveaux de pression ou de torsion, des intensités lumineuses, des distances ou accélérations, températures… Le protocole Midi, du fait de sa réelle standardisation, est souvent préféré à d’autres protocoles, tel l’historique RS232 ou le plus récent Open Sound Control, lorsqu’il s’agit de transférer ce type d’informations numérisées par des composants électroniques. Arrive alors le difficile choix de l’application logicielle dédiée au traitement en temps réel de ces mêmes informations… S’il est une application qui a su séduire la communauté artistique, c’est bien Max. Développé par Miller Puckette durant son passage à l’IRCAM, cet environnement de développement graphique, lorsqu’il est associé aux librairies MSP et Jitter, respectivement dédiées à la gestion de données audio et vidéo, convient à de nombreuses pratiques artistiques. Mais force est de reconnaître que depuis quelques années l’application Pure Data, qui peut aussi être accompagnée de la librairie Gem autorisant la création d’objets 3D, est de plus en plus utilisée. Citons encore Processing, qui a le mérite d’avoir été développé par les artistes programmeurs Benjamin Fry et Casey Reas, EyesWeb et SoftVNS, qui conviennent parfaitement au Motion Tracking, ou reconnaissance de mouvement et Isadora, tout à fait adaptée à la Motion Capture, ou capture de mouvement. Sans oublier les outils propriétaires que les artistes aiment à détourner tels Director, Flash ou Virtools, respectivement développés, à l’origine, pour la réalisation de CD-ROMs, de sites Web et autres jeux vidéo. Quant à la question de savoir ce que l’on peut contrôler avec ces différentes applications, Didier Bouchon, développeur au Cube de nous répondre, après l’énumération des multiples périphériques de sortie, actionneurs et autres moteurs : « En fait, tout ce qui peut être commandé électriquement ».
De l’installation à la performance Les projets d’artistes mettant en œuvre ces technologies matérielles et logiciels sont souvent issus de collaborations avec des électroniciens et développeurs. Aussi il existe des plateformes technologiques telle La Kitchen, Interface-Z ou Eowave, qui regroupent ce type de compétences. Ajoutons à cela l’émergence de quelques sites de ressources collaboratifs comme Didascalie.net, dédié au “numérique temps réel dans le spectacle vivant” ou Artlabo, qui regroupe les expériences des Espaces Culture Multimédia Médias-Cité, Mendès France, Arslonga, Confluences, la Maison Pop… Quant aux associations dont les problématiques évoluent autour des pratiques artistiques en temps réel, elles sont nombreuses : Anomos, Ars Numerica, Dedale, Betaville… Enfin, l’année est ponctuée d’événements permettant au public de se confronter à ces mêmes pratiques. Citons, parmi les plus représentatifs de ces événements : l’exposition Panorama, qui regroupe les travaux des étudiants du Studio National des Arts Contemporains Le Fresnoy, les rencontres Bains Numériques, organisées par le Centre des Arts d’Enghien-les-Bains, ainsi que les festivals Résonances (à l'IRCAM) Monaco Danse Forum, Arborescence, Art Outsiders, Emergences, Exit (à la Maison des Arts de Créteil) , Villette Numérique, 1er Contact… Ce dernier festival a la particularité de regrouper principalement des installations qui inter agissent, soit à avec l’environnement, soit avec les spectateurs. Le choix de Florent Aziosmanoff, le directeur artistique de 1er Contact, n’est autre que de présenter des œuvres interactives dans l’espace urbain d’Issy-Les-Moulineaux, allant ainsi à la rencontre du public en des lieux de passage tels les arrêts d’autobus ou les sorties de métro. Du Zhenjun, dont les installations vidéo interactives intègrent généralement des dispositifs de captation, comptait parmi les artistes présentés durant la première édition du festival. Les personnages vidéo projetés de ses installations, souvent l’artiste lui-même, sont de taille humaine. Ce qui a pour effet de renforcer l’idée de rencontre entre ces mêmes personnages virtuels et les spectateurs. Ainsi, il est aussi intéressant d’expérimenter les œuvres de Du Zhenjun avec son propre corps, que de se mettre en retrait afin d’observer le “dialogue” qui s’établit progressivement entre les spectateurs, acteurs pour l’occasion, et les personnages vidéo projetés. En 2005, le festival Exit offrait l’occasion à l’artiste de porter son travail sur la scène durant le temps d’une performance nommée “Ombres” où trois acteurs inter agissaient avec leurs ombres projetées. Depuis cette expérience, Du Zhenjun a pour projet de réaliser un spectacle se situant aux frontières entre la performance audiovisuelle, la danse et le théâtre. Les technologies numériques, souvent, participent du décloisonnement entre les pratiques.
Performances audiovisuelles Il n’est guère surprenant de constater que la plupart des compositeurs dont les pratiques musicales sont liées à la notion de temps réel, tels Suguru Goto, Roland Auzet ou Atau Tanaka, soient passés par l’IRCAM puisque, rappelons-le, l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique constitue, depuis sa création en 1969, un des plus grands centres de recherche scientifique dédiés, notamment, à l’usage des technologies dans la création musicale. Mais c’est durant son passage à l’université de Stanford au début des années 90, qu’Atau Tanaka expérimente pour la première fois l’interface BioMuse, conçue par Hugh Lusted et Ben Knapp, qui détecte les flux électriques parvenant aux muscles de ses avants bras. Atau Tanaka crée alors un premier collectif nommé Sensorband, avec Zbigniew Karkowski et Erwin van der Heide, avant de former, en 2003, un second collectif nommé SSS (Sensors Sonics Sights) avec Laurent Dailleau et Cécile Babiole. Durant les performances d’SSS, tous les trois contrôlent des médias numériques en temps réel par les mouvements de leurs bras et avant bras. Atau Tanaka est équipé d’une interface BioMuse pour agir sur des sons alors que Laurent Dailleau joue du Theremin pour en générer d’autres. Enfin, Cécile Babiole est équipée de capteurs à ultrasons pour contrôler des images projetées. Chacun des trois instrumentistes bénéficie d’une réelle autonomie. Aussi, bien que les différents tableaux soient préalablement composés, les performances qui se succèdent ne sont jamais semblables. On remarque, depuis quelques années, qu’il est de plus en plus de compositeurs qui, à l’instar de Cyril Hernandez, se saisissent aussi de dispositifs de captation pour manipuler de multiples médias en temps réel durant des performances audiovisuelles.
De la danse… Il apparaît naturel que, parmi tous ceux qui investissent la scène, les chorégraphes soient tout particulièrement intéressés par la captation des gestes et des mouvements. C’est du reste une pratique que bon nombre de compagnies, dont Kdanse, Mobilis-Immobilis, N+N Corsino, Preljocaj, Respublica, Myriam Gourfink, Didier et Magalie Mulleras ou Hervé Robbe, ont intégré dans leurs créations. La scène est un lieu de partage par excellence. Il est donc fréquent que des chorégraphes s’associent à des artistes comme à des programmeurs. C’est ainsi que les chorégraphes Jean-Marc Matos et Anne Holst de la compagnie Kdanse ont récemment collaboré avec l’artiste programmeur Antoine Schmitt durant la conception de la performance Gameplay. Benjamin-Aliot Pagès, le danseur, évolue au sein d’un carré de seulement quelques mètres de côté sur lequel sont projetés des objets graphiques en mouvement que des sons accompagnent. Les interactions, entre le Performer et ces mêmes objets graphiques dont les couleurs saturées évoquent les jeux vidéo des origines, sont multiples. Elles renvoient à des notions allant de l’opposition à la symbiose. Benjamin-Aliot Pagès, emprisonné dans un espace délimité par l’image et le son, agit sur des éléments visuels projetés au sol, que des événements sonores renforcent. Et il semble parfois qu’au moment précis où l’on saisit l’interactivité qui fait lien entre le corps et l’image, entre le corps et le son, celle-ci, tout à coup, change de registre. Ainsi, il apparaît que le danseur joue avec l’image, comme l’artiste et les chorégraphes jouent avec les spectateurs.
…au théâtre Selon Clarisse Bardiot, qui vient d’achever une thèse sur “Les théâtres virtuels”, « c’est par la régie, que les technologies numériques sont parvenues sur la scène de théâtre ». Aujourd’hui, Jean-Lambert Wild, Animaçao, Si et seulement si, Tf2 et Incidents Mémorables comptent parmi les quelques compagnies qui utilisent des dispositifs de captation. Georges Gagneré, le directeur artistique de Incidents Mémorables, fait grand usage des technologies numériques, notamment récemment lorsqu’il a mis en scène des poèmes de l’Oulipien Jacques Roubaud. Dans cette pièce nommée “La pluralité des mondes”, le comédien Christophe Caustier est seul face au public, seul face aux caméras qui font partie intégrante du dispositif scénique. Mais celui-ci joue pourtant avec ses multiples avatars vidéo projetés sur deux plans verticaux qui suffisent à “prolonger” le plateau. Quant au comédien, dont le jeu est “augmenté” par des capteurs embarqués, il contrôle ses doubles vidéo en temps réel, ceux du temps présent, comme ceux d’un temps déjà passé. Et Georges Gagneré de nous dire : « Le théâtre n’a besoin de rien d’autre que du comédien, cœur de tout, et d’un univers. Mais l’informatique induit ici un nouveau rapport au matériau. Le son et l’image n’existent plus en tant que tels ; ils résultent de chiffres et de calculs, et sont donc malléables à l’infini ».
Dominique Moulon, décembre 2005
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