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PRATIQUES ARTISTIQUES EMERGENTES Abraham Moles compte parmi les premiers à théoriser sur ce qu’il nomme déjà, au tout début des années soixante-dix, l’art à l’ordinateur. Nombreux sont ceux qui, par la suite, tenteront de définir un art se confrontant aux technologies, aux nouvelles technologies, à celles du numérique et des réseaux ou médias. On parle aujourd’hui de “pratiques artistiques émergentes” lorsque l’on tente de réunir des tendances contemporaines qu’il est intéressant de mettre en lumière, en relation. Robots d’artistes
Il est bien des artistes qui conçoivent des robots. Michaël Sellam compte davantage parmi ceux qui les détournent de leurs fonctionnalités industrielles ou ménagères. C’est ainsi que ce dernier, durant l’exposition Panorama 5 du Studio National d’art contemporain, “libère” un robot aspirateur dans les locaux du Fresnoy. La machine ère alors, durant l’été 2005, entre les nombreux visiteurs du jour comme parmi les quelques gardiens de nuit. Il est autonome, mais l’artiste l’a augmenté de quelques fonctionnalités lui permettant de générer des médias. Sans relâche, il capture ainsi les images de son environnement magnifiées grâce à une projection vidéo. Ces mêmes images, parfois réinterprétées en temps réel, sont semblables à la reconstitution de territoires lointains en phase d’exploration. Mais le robot, quant à lui, est bien ici et doit fréquemment rejoindre sa base pour se recharger. C’est alors qu’il diffuse des scènes de joie collectives comparables à celles documentant la conquête de l’espace. Mais le petit aspirateur, par son côté quelque peu dérisoire, les assimile à ce que l’artiste nomme, non sans un certain cynisme, les « micro victoires » du monde professionnel. Circuits fermés
« Il n’y a devant que l’espace ; qu’il soit plat ou profond, on ne le connaît pas », écrit Mathieu Briand en 2007 alors qu’il investit la galerie Maisonneuve durant une année entière avec une série d’expositions intitulée “UBÏQ : A mental Odyssey”. Le second chapitre de cette odyssée se présente sous la forme d’une installation intitulée “A Space Perspective” présentant un paysage lunaire survolé par une caméra. On reconnaît la musique de Grégory Ligeti qui accompagne l’apparition du monolithe dans “2001 : l’odyssée de l’espace”. C’est donc bien de la lune dont il s’agit. Mais la caméra est immobile dans la pièce qui jouxte celle de la projection, et ce sont les montagnes et autres cratères qui défilent sous son objectif. Le décor du film qui se joue tout à côté est constitué d’un plateau tournant recouvert d’une couche d’un plâtre “lunaire”. L’espace, qui semble infini dans l’image, en réalité se répète sous la forme d’une boucle vidéo. La technique du circuit fermé initiée entre autres par Nam June Paik, Dan Graham ou Peter Campus durant les années soixante-dix n’a cessé de fasciner les artistes, mais force est de reconnaître qu’elle est, de nos jours, davantage au service de l’imaginaire. Basses technologies
Pixels et autres polygones, après avoir symbolisé une certaine modernité dans les années 80, ont littéralement été gommés à grand renfort de technologies durant les années 90, avant de re-émerger plus récemment au sein d’œuvres que l’on qualifie parfois de “Low Tech”. Et les vingt pixels géants de l’écran d’Aram Bartholl, conçu en 2005, de s’illuminer alternativement selon des durées variables. Nommée “Random Screen”, l’installation est apaisante pour ceux qui l’observent. Son inventeur la définit tel « un écran mécanique thermodynamique que l’utilisateur ne peut contrôler et qui fonctionne sans électricité ». L’artiste allemand en fait la description sur son site Web intitulé “datenform.de”. Où l’on découvre l’arrière de cet écran aléatoire constitué de canettes de bière découpées que la chaleur, émise par des bougies, met en rotation. Et c’est ainsi que la lumière éclaire ou non la zone, le pixel, qui lui est proche. Cette œuvre très nettement inspirée des technologies numériques d’affichage participe de ce que Maurice Benayoun nomme sur son blog intitulé “the-dump.net” « L’art après la technologie ». Problématiques sociétales
Il est fréquent que les artistes ou collectifs s’inspirent des problématiques sociales ou environnementales de leur temps. C’est le cas de Sabrina Montiel-Soto et Fabrice Croizé, les fondateurs de Calvacréation, lorsqu’ils conçoivent ensemble l’installation “Lago Negro” en nous rappelant que : « Le lac de Maracaibo est un des plus grands lacs d'eau potable au monde, il est aussi le palais souterrain de l'or noir ». C’est donc un extrait de pétrole que contient le récipient métallique cuivré qui doucement se balance en générant une vague. Parfaitement lisse, brillante, cette dernière se déplace lentement d’un côté à l’autre du récipient, en emportant avec elle l’image vidéo qui la recouvre partiellement. Mais c’est au plafond, où elle se reflète, qu’elle prend toute sa dimension. On y découvre les abords du lac de Maracaibo, son port. L’image est inexorablement affectée par les mouvements de la vague, une métaphore de la transformation du lac vénézuélien, de la lente dégradation de la qualité de son eau du fait de l’exploitation de l’or noir qui se situe en dessous. Correspondances
Les recherches d’Evelina Domnitch et Dmitry Gelfand se situent entre art et science car leurs œuvres s’articulent généralement autour de phénomènes physiques ou chimiques. Les deux artistes ont collaboré avec des laboratoires de recherches pour concevoir l’installation “Camera Lucida” qu’ils présentent tel un observatoire sono chimique. C’est de sonoluminescence dont il est question cette fois-ci, un phénomène découvert durant les années 30 et qui s’observe lorsque des ultra-sons traversent un liquide en générant de minuscules bulles d’air dont l’implosion génère de la lumière. Les spectateurs doivent accommoder leur vision à l’obscurité avant d’approcher le dispositif que contrôle Evelina Domnitch. Et c’est alors que le spectacle commence, que le son se fait visible, que les ondes s’illuminent. Des sortes de filaments blancs se forment, se déforment et disparaissent aussi furtivement qu’ils sont apparus dans l’espace tridimensionnel que délimitent les parois sphériques de cet “observatoire” nous révélant quelques mystérieuses forces ou énergies extirpées momentanément de l’invisible. Bases de données
Difficile d’imaginer le monde dans lequel nous vivons sans la multitude de bases de données qui régissent nos vies. Aussi, il est bien naturel que certaines d’entre elles soient “orientées art”. Or c’est précisément le cas de celle qui est centrale à l’installation “Pockets Full of Memories” de l’artiste américain George Legrady, qui existe en deux versions. Elle a été exposée au centre Pompidou en 2001, dans sa première version, avant de faire le tour du monde entre 2003 et 2006. Toutes les cases de la matrice vidéo projetée, au début de l’exposition, sont vides. Mais elles se remplissent au fur et à mesure que les visiteurs scannent ce qu’ils ont sous la main, dans les poches. Une interface leur permet alors de renseigner cette base de données artistique pendant qu’un algorithme organise les objets collectionnés. Toutefois, bien qu’il y ait ici une forme de classification qui exclut l’idée d’accumulation, on peut encore parler de collection même s’il n’y a pas de collectionneur. A moins de considérer la machine, d’une relative autonomie, tel l’acteur essentiel de cette expérience collective. Détournements
“Anti Data Mining” est une série d’installations et de performances conçues par les membres du collectif français RYbN qui visent à rendre visible, ce qui d’ordinaire reste invisible au grand public, en détournant des applications logicielles destinées initialement à l’extraction de données sur Internet. Ceux-ci opèrent ainsi un retournement en utilisant contre de grandes entreprises les outils et bases de données que ces dernières exploitent pour en savoir davantage sur les comportements de leurs clients. Les cartographies complexes obtenues en temps réel selon un procédé que l’on nomme la Data Visualization restent difficiles à interpréter pour un non spécialiste, mais l’idée que ces informations et relations interentreprises sont extraites d’une opacité inhérente au monde de la finance est intéressante. D’autant plus intéressante, durant la crise financière que nous traversons quand, dans un contexte artistique, ce sont des artistes qui mettent en lumière l’état de santé économique d’entreprises aux pratiques quelque peu douteuses comme les délocalisations et autres placements. Générativité
« Il est important que tout le monde soit nommé », écrit Antoine Schmitt sur la page d’information qui documente son œuvre générative en ligne accessible à l’adresse “thegrandcredits.info”. C’est “Le Grand Générique de tous les êtres humains” qui défile sous nos yeux, lentement, régulièrement. La base de données qui lui est essentielle s’enrichit jour après jour des prénoms et noms de gens ordinaires qu’elle glane sur Internet, qu’elle emprunte à d’autres bases de données sur quelques serveurs. Ce générique est unique, parce que le plus grand, parce que sans hiérarchie ni ordre d’aucune sorte, parce qu’infini. Il ne semble ni commencer ni terminer quoi que ce soit. Simplement, il défile sous les yeux de celles et de ceux qui l’observent en attendant le court moment de célébrité qui leur a été promis par Andy Warhol. De celles et de ceux qui, finalement, lui donnent de courts moments d’existence en l’affichant dans leurs navigateurs. Un échange de bons procédés en réseau entre humains et machines, initié par un artiste programmeur. Article rédigé par Dominique Moulon pour Images Magazine, mai 2010.
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