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SEPT ANS D'ART OUTSIDERS

Né de la rencontre entre Henry Chapier et Jean-Luc Soret, le festival Art Outsiders, depuis six éditions, explore les rapports qu'entretient la création contemporaine avec les sciences et les technologies. Une manière pour la Maison Européenne de la Photographie de porter un regard sur la création contemporaine par l’image sous ses formes les plus diverses.

Né de la rencontre entre Henry Chapier et Jean-Luc Soret, le festival Art Outsiders, depuis six éditions, explore les rapports qu'entretient la création contemporaine avec les sciences et les technologies. Une manière pour la Maison Européenne de la Photographie de porter un regard sur la création contemporaine par l’image sous ses formes les plus diverses.

 

img Catherine Nyeki et Marc Dejean, “Micros-Univers”, 2000, (CD-Rom Interactif, détail).

 

2000

Nous sommes en l’an 2000, la hantise d’un Bug millénaire est passée, les valeurs technologiques connaissent des pics que nous n’oublierons pas de si tôt et le festival Art Outsiders s’installe à la MEP. Les conférences qui y sont données, tout comme les films qui y sont projetés, ont trait aux nouvelles images. Quant aux expositions de cette première édition, elles ont lieu hors les murs, au Centre Pompidou, dans des galeries parisiennes et sur Internet.
C’est donc sur la galerie virtuelle du festival que Catherine Nyeki, accompagnée d’une vingtaine d’autres artistes, expose quelques-unes de ses sculptures virtuelles. Réunies sur le CD-Rom intitulé “Micros-Univers” co-réalisé avec Marc Dejean, celles-ci sont animées, sonores et interactives. L’œuvre regroupe quatre familles : les Chevelus, les Balanciers, les Moulins et les Battements. Chacune de ces familles contient une bibliothèque de formes simples, en mouvement, évoquant autant le monde du minéral que celui du végétal. Et c’est par la combinatoire que le spectateur, en manipulant ces mêmes objets multimédias dansant avec la souris, obtient des formes complexes.
Catherine Nyeki et Marc Dejean réaliseront ensemble par la suite d’autres créations s’articulant autour de la notion du vivant, parmi lesquelles “Mu herbier” et “Mu_tamorphe”. Mais aujourd’hui, seulement six ans après sa réalisation, “Micros-Univers”, la première création de cette série, le “Collector”, n’est plus compatible avec les dernières machines Apple. La question de la pérennité des médias que l’on qualifie aujourd’hui de “variables“ ou d’“instables” reste d’actualité. Elle constitue l’une des principales problématiques de la Fondation Langlois pour l’art, la science et la technologie basée à Montréal.

 

img Edmond Couchot et Michel Bret, “Je sème à tout vent”, 1990, (installation interactive).

 

2001

Les esprits sont ailleurs le soir du vernissage de cette seconde édition d’Art Outsiders. Les regards sont hagards en cette soirée du 11 septembre 2001. Une dizaine de dispositifs sont installés dans les locaux de la MEP jusqu’à la fin du mois, alors que d’autres sont accessibles sur la galerie virtuelle. Quant aux conférences et autres projections, elles s’articulent autour de la notion d’avatar.
Une œuvre, cette année-là, est particulièrement remarquée par le public et obtient un prix décerné par la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédia) qui s’est associée pour l’occasion avec le festival. Elle se nomme “Je sème à tout vent” . Elle a pourtant été créée en 1990 par Edmond Couchot et Michel Bret, qui, tous les deux, ont été chercheurs au sein de laboratoire ATI (Art et Technologie de l’Image) de l’université de Paris VIII. L’écran présente l’ombelle d’un pissenlit sur un fond noir. Le public est invité à souffler sur un microphone dissimulé à la base de ce même écran pour faire s’envoler les ombellules. « Le souffle du spectateur fait partie de l’image. Il lui est nécessaire comme la lumière sur un tableau, comme l’interprète pour la partition musicale », disait Jean-Louis Boissier en 1990 lors du premier festival “Artifices”, depuis disparu. Les spectateurs, onze ans après, sont tout aussi surpris de voir leur souffle réel agir sur ce pissenlit virtuel. L’œuvre a même été réécrite l’an dernier et exposée par Numeriscausa. Quinze, ans plus tard, les ombelles se sont multipliées, elles se sont colorées, mais n’ont rien perdu de leur fascination. Quant à l’installation, que l’on peut aujourd’hui qualifier d’“historique”, elle a été achetée en 2001 par la MEP qui commence avec elle une collection d’œuvres numériques.

 

img Eduardo Kac, “Genesis”, 1999, (installation transgénique interactive en réseau).

 

2002

“Du bio-art à la vie artificielle” : la thématique résolument contemporaine de cette édition 2002 est plus précisément définie que celles des années précédentes. Eduardo Kac y présente “Genesis”, une installation d’une relative complexité et à la portée hautement symbolique qui incarne parfaitement les questionnements que révèle l’usage, depuis peu, des biotechnologies dans le champ de l’art.
L’artiste n’en est pas à sa première œuvre “transgénique”. On se souvient notamment du lapin génétiquement modifié “GFP Bunny”. Pour réaliser “Genesis”, Eduardo Kac a traduit en morse un verset de la Genèse où l’ordre de Dieu intimé à l’homme de contrôler le vivant est des plus clairs : « que l’homme domine les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre ». Le morse symbolise ici l’origine des moyens de communication à distance en temps réel induisant ceux liés à la notion de télé présence chère à Eduardo Kac. L’artiste a ensuite converti le code morse en paires ADN avant d’obtenir le gène de synthèse qu’il a, pour terminer, intégré à une bactérie. Les spectateurs de l’exposition, comme ceux connectés à l’œuvre via une interface Web, pouvaient alors allumer ou éteindre la lampe à Ultra Violets située au-dessus de la boîte de Petri contenant les bactéries. Le public participait ainsi à augmenter ou ralentir le taux de mutation des bactéries porteuses de l’ordre divin et contrôler ainsi partiellement la transformation du verset biblique. « La possibilité d’altérer cette phrase a une porté symbolique : cela signifie que nous n’acceptons pas son sens originel, et que de nouveaux sens émergent alors que nous cherchons à la modifier », explique Eduardo Kac.

 

img Kitsou Dubois, “Tragectoire fluide”, 2002, (spectacle chorégraphique), ® Quentin Bertoux.

 

2003

« En 2003, le festival arrive véritablement à maturité et correspond exactement à ce qu’Henri Chapier et moi souhaitions proposer. Il réunit des installations, des conférences, des projections et enfin un catalogue », dit aujourd’hui Jean-Luc Soret. Pour préparer cette quatrième édition, le directeur artistique du festival s’est entouré d’Annick Bureaud, dont les recherches au sein de l’observatoire Leonardo des Arts et des Techno-Sciences portent notamment sur la thématique de cet Art Outsiders 2003 : l’Art Spatial. « On entend par “Space Art” l’ensemble des pratiques artistiques contemporaines inspirées par la recherche ou l’activité spatiale », précise alors Jean-Luc Soret.
Nombreux sont les participants du colloque intitulé “Visibilité - Lisibilité de l’art spatial. Art et Gravité Zéro”, dirigé par Annick Bureaud, à avoir expérimenté la micro gravité durant des vols paraboliques. L’avion, pendant ce type de vol, effectue une trajectoire sinusoïdale dont les crêtes induisent que les membres embarqués échappent à la gravité terrestre pendant un court instant, environ 25 secondes. Les vols paraboliques permettent à Kitsou Dubois, qui est chorégraphe et a vécu l’expérience de la Gravité Zéro à de multiples reprises, de placer danseurs, trapézistes et autres trampolinistes en situation de micro gravité. Ces mêmes vols constituent alors les premières des étapes nécessaires à la réalisation de spectacles tels : “Trajectoire Fluide” en 2002, “Analogies” en 2004 ou “L’espace d’un instant” en 2006. Des gestes ou mouvements ayant été expérimentés en vol, puis dans l’eau, en piscine, y sont enfin joués sur scène où les images vidéo participent à l’appréhension de la différence entre la gravité 1 et gravité 0. Une relation est ainsi établie entre des milieux où le contrôle du mouvement passe alternativement de son commencement à son arrêt.

 

img Marcel Li Antunez Roca, “POL”, 2002, (performance mécatronique).

 

2004

L’édition 2004 du festival Art Outsiders se résume essentiellement à la présence de l’installation “Résistance Tantale” de Marcel Li Antunez Roca dans les locaux de la MEP. Les passants, durant la “Nuit Blanche”, sont invités à placer leurs têtes dans une boîte au sein de laquelle un dispositif de captation est déclenché par le son. Certains parlent alors que d’autres chantent ou crient. Mais cela importe peu du moment que l’image de leur visage est saisie pour ensuite intégrer la projection vidéo située à l’intérieur de la MEP. Les spectateurs basculent alors dans l’univers fantasmagorique de l’artiste catalan, leur tête allant de corps en corps, ici vêtu d’une robe, là d’un maillot de bain… L’expérience n’est pas sans évoquer la pratique des photographes de foire qui, il n’y a pas si longtemps, photographiaient les gens au moment où ils passaient la tête au travers d’une toile peinte les faisant basculer dans quelques situations inattendues.
Art Ousiders, cette année-là, s’associe au festival Emergence installé à la Maison de la Villette où Marcel Li Antunes Roca donne une performance du type de celles qu’il qualifie de “Mécatronique”. POL est une fable ironique où les acteurs sont revêtus d’exosquelettes pour piloter les objets et les images leur permettant de raconter l’histoire d’un lapin édenté à la recherche de Princepollu, la fille de la forêt Cervosatan ! Notons que cet artiste catalan avait, l’année précédente, participé au colloque portant sur l’art en Gravité Zéro avec le projet Dedalus qui lui avait permis de tester un exosquelette durant un vol parabolique. Il est fréquent, en effet, que des artistes soient présentés durant deux éditions consécutives du festival. Leurs recherches, ainsi, participent à les relier entre elles.

 

img Diana Domingues, Groupe Artecno, “Terrarium”, (installation en réseau).

 

2005

Les artistes et chercheurs présentés au sein de ce sixième Art Outsiders sont sélectionnés selon leur situation géographique plutôt que par la proximité de leurs recherches. Tous, en effet, ont en commun de travailler au Brésil. Quoi de plus naturel en 2006 puisque que cette année-là est aussi celle du Brésil en France.
Diana Domingues, qui dirige le groupe de recherche Artecno, compte parmi les quelques artistes présentés avec deux installations. La première nommée “Insn(h)ak(r)es” s’articule autour de la notion de télé présence alors que la seconde, “Terrarium”, explore la notion de vie artificielle. Les deux installations sont connectées à l’Internet et permettent par conséquent aux visiteurs de l’exposition de collaborer avec ceux qui sont en réseau. Les participants à l’expérience Insn(h)ak(r)es ont ainsi la possibilité de piloter à distance un robot serpent placé à l’intérieur d’un serpentarium situé à Caxia do Sul. Quant à ceux qui inter agissent avec “Terrarium”, ils participent ensemble à la création et l’évolution d’un écosystème en créant, via une interface, des serpents virtuels. De nombreux réglages, allant de la gestion de la chaleur à celle d’une nourriture tout aussi virtuelle, influent sur la vélocité, le dynamisme ou la durée de vie des reptiles tridimensionnels. Et Diana Domingues de constater que « les technologies interactives modifient notre notion de l’espace, de la distance et du temps, du naturel et de l’artificiel. À notre époque post-biologique, il ne fait aucun doute que la condition humaine est renforcée par des interfaces et des rétroactions complexes avec des systèmes artificiels ».

 

img Marie-Jeanne Musiol, “Corps de lumière”, 2005, (photographies Kirlian).

 

2006

La thématique de ce dernier festival Art Outsiders est issue de l’exposition “Corps Electromagnétiques” qui a été conçue l’année dernière à Montréal par Nina Czegledy et Louise Provencher. Elle a notamment été accueillie en Europe au ZKM (Zentrum für Kunst und Medientechnologie) de Karlsruhe en Allemagne. Les œuvres sélectionnées participent à rendre hommage à l’ingénieur et inventeur Nicola Tesla dont on fête cette année le 150e anniversaire de la naissance. Ses recherches relatives aux phénomènes de vibrations et de résonances en électricité et en électromagnétisme sont à l’origine de multiples innovations.
L’installation “Corps de lumière” de l’artiste Marie-Jeanne Musiol met en scène des photographies obtenues selon le procédé Kirlian qui porte le nom de son inventeur depuis 1939. L’effet nommé “Kirlian”, c’est le halo de lumière qui subsiste sur une plaque photographique après que des objets ont été soumis à un fort champ électrique. Certains prétendent même que la photographie Kirlian permet d’obtenir des représentations de membres disparus ! Il est vrai que les plantes photographiées par Marie-Jeanne Musiol ne sont identifiables que par le mystérieux halo qui en forme le contour. Et celle-ci d’ajouter que « quand le poète allemand Goethe se promenait en forêt, il la voyait animée d'intenses radiations. Ces champs de lumière qui baignent la nature ne sont pas encore bien compris. Ils nous transportent toutefois au cœur d'une réalité autre », conclut Marie-Jeanne Musiol.

Article rédigé par Dominique Moulon pour Images Magazine, décembre 2006