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INTERVIEWS
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MAURICE BENAYOUN, ARTISTE TRANS-MEDIAS Né en 1957, Maurice Benayoun est agrégé d’Arts Plastiques et enseigne depuis 1984 à l’université Paris 1. Co-fondateur, en 1987, de la société “ZA production” spécialisée dans les nouveaux médias, il est lauréat de la Villa Medicis hors les murs en 1993 pour son projet “AME” (Après Musée Explorable). Maurice Benayoun est aussi directeur artistique du CITU (Création Interactive Transdisciplinaire Universitaire) dont il est également le co-fondateur. Vous êtes projeté, au début des années 90, sur le devant de la scène numérique internationale suite à la réalisation, en collaboration avec le dessinateur de bande dessinée François Schuiten, d’une série de films en images de synthèse dédiée aux “Quarxs”, des êtres chimériques. Mais qui sont-ils ?
En 1994, vous exposez “Dieu est-il plat ?” durant Articfices 3. L’espace labyrinthique de cette installation 3D en temps réel évoque déjà celui des jeux vidéos qui, de nos jours, intéressent de nombreux artistes contemporains alors qu’ils ne semblent plus faire partie de vos préoccupations !
Je souhaitais, au moment où la réalité virtuelle permettait de mettre en scène certaines situations, faire en sorte que la quête de Dieu soit un jeu vidéo ne renvoyant qu’à l’image du créateur du monde dans lequel nous vivons, égaré dans un monde créé par l’homme. Ce jeu de paradoxe qui nous renvoyait à une réalité - l’impossibilité de fuir - me paraissait alors très intéressant. “Dieu est-il plat?” fait partie d’une série d'installations nommée “Les Grandes questions” comprenant notamment “Dieu est-il plat ?”, “Le diable est-il courbe ?” “Et moi dans tout ça”. Jean-Paul Fargier, à l’époque, avait dit dans Le Monde que cette installation constituait le premier "jeu vidéo métaphysique". Je pense effectivement que le jeu vidéo est en passe de devenir un art à proprement parler, qu’il présentera des registres extrêmement variés, allant de réalisations purement ludiques à d’autres, peut-être davantage métaphysiques, critiques ou philosophiques. Beaucoup d’artistes travaillent aujourd'hui sur ces questions. Quant à moi, c’est autre chose qui m’intéresse maintenant. S'il existe une continuité manifeste dans ma pratique, je ne suis, généralement, intéressé par une thématique que durant un temps limité. Lorsque vous concevez des événements comme “Le tunnel sous l’Atlantique” reliant le Musée d'Art Contemporain de Montréal au Centre Pompidou en 1995, la mise en scène n’est-elle pas essentielle ?
Vous avez, en 1997, expérimenté le dispositif immersif CAVE à l’Ars Electronica Center de Linz en Autriche avec “World Skin”, une pièce qui fait référence à la guerre en ancienne Yougoslavie. Que retirez-vous de cette expérience ?
Il ne s’agissait pas uniquement de la guerre en ancienne Yougoslavie, mais aussi de la seconde guerre mondiale puisqu’il faut se rappeler que Linz est aussi la ville où Adolf Hitler a passé son enfance, à l'école avec Wittgenstein. Ce n’était donc pas complètement innocent. Quant au CAVE, il permet de placer plusieurs individus dans une situation totalement immersive, immergés dans la représentation. Des individus à qui je propose une expérience collective : devenir des touristes durant un Safari photo au pays de la guerre. La réalité virtuelle permet en effet de créer des situations qui nous interrogent sur des choses aussi fortes et triviales que la guerre. “World Skin, un safari photo au pays de la guerre", à cette époque, était au plus proche de ce que j’espérais faire dans mon travail. Mais depuis, j’ai l’impression d’être allé ailleurs, pas forcément plus loin, ailleurs, dans la continuité de ce même travail. Vous utilisez, par exemple dans “Crossing Talks” de 1999, des technologies dédiées à la communication par l’image vidéo. Mais n’est-ce pas la rencontre entre les êtres, plus que la communication entre ceux-ci, qui vous intéresse ?
La Mémoire Rétinienne Collective est une notion que vous initiez en l’an 2000 avec “Art Impact” au Centre Pompidou lors d’une exposition sur le thème de la beauté en Avignon. De quoi s’agit-il ?
De l’idée que le numérique constitue une extension d’une des capacités de la rétine. On sait en effet que ce qui est perçu par celle-ci ne s’efface pas instantanément. Elle a par conséquent une certaine forme de mémoire. Une mémoire très courte que l’on nomme la persistance rétinienne qui, dans une salle de cinéma, nous donne un sentiment de continuité des images animées alors qu’en vérité, elles sont discontinues. Or je considère que ce que l’on regarde pourrait laisser une trace durable et que cette trace, lorsque l’on est plusieurs à regarder, pourrait s’écrire sur une même surface, sur une mémoire palympsest collective. On se retrouve alors face à une composition dynamique qui évolue en permanence, en continu. Une trace de ce que les gens regardent les uns avec les autres, de l’expérience du regard, une trace qui progressivement se recouvre, est effacée par l’expérience de l’autre. Et l’on se met à échanger quelque chose, qui à priori ne pourrait l’être puisque l’on ne sait du regard des gens que ce qu’ils nous disent. Mais là, ça ne passe pas par des mots. Dans “Art Impact”, il s’agit aussi d’une situation de compétition en termes de séduction rétinienne - en référence à Marcel Duchamp - puisque les spectateurs du Centre Pompidou, à l’aide de jumelles de réalité virtuelle explorent des lieux avignonnais ou des œuvres de l’exposition sur le thème de la beauté. Ainsi, le supermarché ou les abattoirs peuvent se retrouver gagnants face à des œuvres d’art réduites à des images. Le texte est un média que vous utilisez rarement, mais il est pourtant au centre de “Labylogue”, une pièce que vous avez exposée au Musée d’Art Contemporain de Lyon en 2000. Comment est née l’idée de cette collaboration avec Jean-Pierre Balpe ?
La réalisation d’installation telle “So.So.So.” induit l’usage de très nombreuses technologies. Est-ce pour mieux les dissimuler ?
La technologie, dans la plupart de mes dispositifs, n’est pas vraiment visible parce qu’elle n’est pas l’enjeu, mais plutôt la condition nécessaire du projet. Par exemple : je ne pourrais pas, sans cette technologie, échanger les regards dans “So.So.So.” comme dans “Art Impact” puisque ces deux installations utilisent la Mémoire Rétinienne Collective. Mais ce qui m’intéresse, lorsqu’une technologie existe, c’est de découvrir comment elle crée ou modifie la nature de l’expérience, comment elle nous permet d’entrer dans des modalités narratives, descriptives ou esthétiques différentes. On regarde, dans ces deux installations, avec des jumelles de réalité virtuelle et ce que l’on regarde vient se peindre sur la Mémoire Rétinienne Collective, autrement dit sur un écran géant au centre du dispositif. Dans So.So.So.,Somebody Somewhere Some Time, on ne regarde que des situations, des scènes de la vie courante, le matin, à Paris à 7h47. Si, lorsqu’en regardant ces scènes, on s’attarde sur des détails, on passe alors à une autre scène comme si ces mêmes détails avaient une relation avec d’autres espaces, au même moment, où il y aurait d’autres personnes dans d’autres situations apparemment banales. Par le parcours du regard, une histoire se raconte, un récit se construit et c’est en rencontrant des indices de narration que l’on construit ce récit. “Watch Out” est un dispositif qui se retourne contre le “regardeur” puisque ce dernier est observé à son insu. S’agit-il d’un piège ?
Le coût de production d’un dispositif comme “Cosmopolis”, récemment installé à Shanghai, doit être relativement lourd. Comment s’opère le montage d’un tel projet ?
Le coup de “Cosmopolis” représente à peu près la moitié de celui d’une exposition annuelle à la Cité des Sciences. La particularité de cette “exposition thématique” réside dans le fait que, dès le départ, j’ai proposé qu’elle soit en même temps un dispositif artistique et scientifique. En comparaison à celui d’une installation classique, le budget apparaît donc important. Mais il devient normal pour une exposition thématique qui constituait la nature de la demande et que j’ai, d’une certaine manière, détournée au grand bénéfice des commanditaires puisque cette exposition a atteint les 146 000 visiteurs dans les 3 premières semaines à Shanghai. En fait, il s’agit presque pour moi d’une forme militante, c’est-à-dire que je considère que l’exposition thématique devient de plus en plus un genre artistique. Malheureusement, les institutions ne sont pas toujours ouvertes à cette approche. Elles ne considèrent pas qu’il s’agisse d’une écriture en soit qui justifierait l’engagement de personnes susceptibles de trouver d'autres moyens de faire passer un certain nombre de messages. J’ai, ici, pu exercer ce travail d’écriture avec une grande liberté pour une exposition thématique internationale et itinérante qui va circuler pendant plusieurs années. De plus, j’ai eu la chance extraordinaire de pouvoir faire exactement ce que j’avais envie de faire, dans la continuité de mon travail, d’“Art Impact” et de “So.So.So”. Dans vos derniers travaux tel les “Frozen Feelings” ou “Sfear”, s’agit-il d’observer, de mesurer ou de représenter le monde ?
Interview réalisée par Dominique Moulon pour Images Magazine, septembre 2005
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