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LE FESTIVAL STRP D'EINDHOVEN La quatrième édition du festival STRP, dédié au rapprochement entre musiques, pratiques artistiques et technologies, a réuni plus de 30 000 visiteurs au sein de concerts, performances, expositions, conférences et autres ateliers en novembre 2010. Quant au nom quelque peu étrange de l'événement, il est relatif à celui du site industriel d'Eindhoven que la marque Philips a investi, il y a bien longtemps, avant de révolutionner l'industrie culturelle avec quelques inventions. L'imprécision comme règle
Une barrière de sécurité, étrangement, est située bien après l'entrée principale de l'exposition ! C'est à l'artiste néerlandais Marnix de Nijs que l'on doit ce dispositif biométrique, intitulé "Physiognomic Scrutinizer", qui est semblable à ceux s'immisçant dans nos aéroports où la peur justifie les expériences de toutes sortes. Se présenter face à la caméra d'une telle installation technologique, c'est accepter l'idée d'être coupable de quelque chose. On arbore donc son plus beau sourire pour que la porte s'ouvre enfin. Mais la machine, quant à elle, ne doute pas même si ses algorithmes biométriques sont aussi imprécis que ceux de ses congénères que l'on a déjà retirés de certains aéroports. Une voix de synthèse nous dit alors le nom de celui ou de celle que l'on incarne par erreur. Or, les visages de la base de donnée sont ceux de personnalités controversées. La voix, d'ailleurs, se charge d'énumérer quelque travers ou méfaits. Voilà tout simplement comment se faire incarcérer pour délit de ressemblance. Et dire que Facebook se prépare à lancer sa nouvelle application de reconnaissance automatique de visage ! Une esthétique de la fragilité
S'il y avait un festival des basses technologies, ce serait STRP tant ses expositions regorgent d'œuvres se passant allègrement de la puissance de calcul des machines. "Double O", de Zilvinas Kempinas dont on se souvient de la majestueuse installation "Tube" présentée lors de la 53e Biennale de Venise, doit simplement être alimentée électriquement. Deux ventilateurs se font face et entre ceux-ci flottent deux cercles de bande magnétique semblables à celle des cassettes audio que Philips inventa il y a quelques décennies pour les fabriquer à Eindhoven sur ce site nommé Strijp. Coïncidence ! Deux cercles dont l'apparente instabilité, dans l'espace, fait écho à l'instabilité des médias que les bandes pourraient contenir. Deux cercles qui s'attirent et se repoussent l'un l'autre tout en dépendant d'un même flux. L'artiste lituanien a conçu bien des œuvres avec des bandes magnétiques pour seul matériau. Et l'on se remémore leur relative fragilité quand cette même fragilité nous apparaît centrale dans le travail de Zilvinas Kempinas. Face à ses œuvres, on est bien souvent tenté de toucher, même si l'on se retient. Car la retenue, parfois, participe du plaisir esthétique. Perpétuelles reconfigurations
Et puis il y a cette magnifique exposition dédiée aux œuvres de Lawrence Malstaf, toutes d'une apparente simplicité, mais toutes relativement complexes. Il y a "Nevel" qui signifie "brouillard" en néerlandais en référence, peut- être, à la semi transparence des neuf parois mobiles qui reconfigurent perpétuellement son environnement. En rotation sur elles-mêmes selon quelques scénarios préétablis, elles se font murs puis deviennent ouvertures. Quand elles s'immobilisent, l'espace continue pourtant à se transformer lentement, inexorablement, grâce à des jeux de lumière. "Nevel" a les allures d'un décor de théâtre qui serait en mutation entre deux scènes incertaines. Elle n'est en rien menaçante. Trop lente dans ses métamorphoses, pourtant, elle semble susceptible de se refermer sur elle-même, à tout instant, et pourrait ainsi emprisonner un visiteur imprudent ou téméraire. Parce qu'elle se transforme sans cesse, elle nous condamne à nous déplacer continuellement, à modifier nos points de vue. Car il s'agit, dans ces quelques mètres carrés d'œuvre, de parvenir à se perdre, comme il convient de se perdre dans Venise, pour que l'expérience soit totale. De la grille au chaos
C'est en grec ancien qu'il faut chercher le sens de "Boreas", littéralement "Vent du Nord". L'œuvre semble en effet soumise à un souffle dont la puissance n'est que lenteur. Elle se compose d'une matrice de tubes qui, lorsqu'ils sont tendus vers le haut, forment une grille dont les alignements sont géométriquement irréprochables. Mais il est une force invisible, qui pourrait tout aussi bien être magnétique et qui les fait se courber vers les spectateurs, en révérence. Ils se chevauchent. De l'ordre naît ainsi le chaos sans que l'on puisse identifier le moment précis du passage entre les deux états, tant la transformation est lente, presque imperceptible. Tels les cheveux d'un géant, ils attendent alors le retour à l'ordre par la tension. Une tension dramatique, sans suspense aucun pour les spectateurs patients qui savent observer plusieurs cycles. "Boreas" compte en effet parmi les œuvres qui induisent de se poser alors qu'elle se meut inexorablement, passant d'un état à l'autre. Elle est en constante transition, autonome, et son extrême lenteur nous invite à ralentir pour mieux la saisir. La somme des imprédictibilités
L'installation "Territorium" pourrait être considérée comme la somme de "Nevel" et "Boreas" si ce n'est qu'elle a été initialement conçue comme une scénographie pour Arco Renz. Lawrence Malstaf collabore en effet fréquemment avec des chorégraphes comme Meg Stuart. Il s'agit d'un environnement en perpétuelle reconfiguration, d'un espace divisé en quatre parties par deux cloisons mobiles. Mais celles-ci sont des plus immatérielles car elles sont constituées d'alignements de longues pailles verticales. Et puis, quand ce croisillon délimitant l'espace et évoquant le centre d'un monde tridimensionnel défini par les coordonnées X, Y et Z vient à s'abaisser, il est affaire de chaos comme pour "Boreas". Les pailles se cassent en des segments de droites sans que l'on puisse prédire, comment ni de quel côté elles se fragmentent. Quant à certains spectateurs qui ont remplacé les danseurs de la Compagnie Carte Blanche, ils ont tout loisir d'évoluer au sein de cet environnement aux divisions incertaines, de s'adapter au mieux, alors que d'autres, de côté, préfèrent observer la scène. Car il est bon de voir avant d'agir, ne serait-ce que pour mieux s'adapter aux situations les plus imprédictibles. Toute résistance est inutile
Et puis il y a cette étrange machine nommée "Compass" qu'il convient d'endosser et qui convertit le corps dans son entier en aiguille de boussole. Le spectateur, après quelques réglages essentiels, est invité à se déplacer librement à l'intérieur d'une surface bien délimitée. Mais la machine n'y entend rien et sait, en pivotant violemment sur elle-même vers la droite ou vers la gauche, faire changer le spectateur de direction. Elle ne répond qu'au plan qui a été enregistré dans sa mémoire. Elle se charge donc d'éviter les collisions avec des murs qui n'existent qu'en elle-même. Les rotations entravant les spectateurs ainsi équipés évoquent les changements de sens de l'aiguille d'une boussole autour de son axe. Ces changements subits sont régis par quelques forces de l'invisible. Toute résistance est inutile face à cette machine qui n'est autre que la parfaite métaphore des pouvoirs permettant aux plus puissants de contraindre les plus faibles lorsqu'ils sont établis sur des règles qui échappent à l'entendement. Quand la gravité l'emporte
Une des "machineries", intitulée "Shaft", invite le spectateur à s'allonger en plaçant sa tête sous un tube en plastique transparent. Le cône de vision apparaît alors comme inversé puisqu'il semble se resserrer vers le lointain. Un médiateur, dès lors que l'on est confortablement installé, introduit une coupelle dans le tuyau au sein duquel de l'air est pulsé vers le haut. La coupelle se met alors à danser, virevolter, en s'élevant, en descendant, selon ses positions dans l'espace. Elle échappe alors à la gravité jusqu'à ce qu'une autre coupelle soit introduite dans son espace pour qu'ensemble elles s'entrechoquent et finissent par se briser. Réduites à l'états de fragments, elles sont alors aspirées par la gravité qui l'emporte enfin. Les yeux du spectateur sont protégés par une paroi de verre pare-balles. Mais rien n'y fait. Les yeux se ferment, par réflexe, quand l'enchantement né d'objets virevoltants dans l'air est rompu par une fin tragique, lorsque les sons cristallins de petits chocs font place à ceux plus lourds des morceaux de faïence brisés qui s'empilent en direction de la décharge. La dispersion du fils
Enfin il y a, au-delà de l'exposition dédiée à Lawrence Malstaf, un dispositif immersif à 360° conçu par Jeffrey Shaw baptisé l'AVIE pour Advanced Visualisation and Interaction Environment. Et c'est Jean-Michel Bruyère qui l'investit avec "La dispersion du fils" réalisé à cet effet. On y découvre un objet en trois dimensions évidé et longiligne. S'il est lisse, sa forme est torturée. Lorsque la caméra virtuelle s'en approche, on s'aperçoit qu'il est constitué d'innombrables fragments de séquences vidéo produites par LFK. Et quand ses multiples blocs de mémoires se dispersent, c'est pour traverser littéralement les corps des spectateurs équipés de lunettes stéréoscopiques. Jean-Michel Bruyère poursuit là son travail sur le mythe de Diane et Actéon. Selon Ovide, Diane, surprise par Actéon, l'aurait transformé en un cerf qui aurait été dévoré par les propres chiens d'Actéon. Ceux-ci auraient erré dans la montagne à sa recherche et l'auraient "répendu" au travers de leurs déjections. Article rédigé par Dominique Moulon pour Digitalarti, janvier 2011.
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