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ARS ELECTRONICA 2007, AU REVOIR VIE PRIVEE Le festival Ars Electronica, chaque année, révèle les principales tendances et se devait, en 2007, d’occuper enfin une place au sein de “Second Life”. Mais cette vingt-huitième édition, au travers de son symposium intitulé “Goodbye Privacy”, était aussi l’occasion d’une réflexion plus générale sur la notion de vie privée, à l’ère du numérique. Quant à l’apparition d’un nouveau prix récompensant les œuvres d’un art “hybride”, elle met en lumière l’émergence d’un champ esthétique qui interroge le vivant. La Pfarrplatz de Linz, en ce début septembre, est recouverte de sable et a par conséquent les allures d’une plage. Les festivaliers, confortablement installés dans leurs transats, peuvent ainsi se connecter à l’“autre place”, copie conforme de la précédente, mais dans Second Life, en utilisant les ordinateurs qui font partie du dispositif. Alors que faire, si ce n’est converser, via un clavier, avec quelqu’un qui, sans doute, n’est distant que de quelques mètres ? À moins d’en profiter pour aller sur Cosmos Island afin d’assister, en ligne, à l’une des performances reconstituées par les artistes du collectif italo-américain 0100101110101101.org.
La “Synthétique Performance” d’Eva et Franco Mattes reconstitue celle de Joseph Beuys, en 1982 à la Documenta 7, lorsqu’il avait fait déposer 7000 colonnes de Basaltes à Kassel. L’acte était aussi symbolique que monumental puisque l’artiste allemand proposait aux acheteurs de planter un chêne au pied duquel ils s’engageaient à déposer la colonne préalablement acquise. Le dernier arbre fut planté cinq ans plus tard, pendant la Documenta 8, durant que la dernière colonne disparut enfin de Kassel. Vingt-cinq années après, la question de savoir en combien de temps ce second tas de colonnes disparaîtra est d’autant plus pertinente à l’ère des bouleversements climatiques.
Les avatars
Et puis il y a ceux qui sont tentés par l’“offre promotionnelle” d’un autre artiste allemand : Joachim Stein. Il a, quant à lui, emprunté les codes Marketings propres à l’univers de la cosmétique afin établir une proposition commerciale baptisée “Become Your Avatar”. Les habitants des mondes virtuels sont tous jeunes et beaux, mais qu’en est-il du retour à la vie réelle avec, par exemple, quelques kilogrammes en trop ? Et c’est fort du constat de cette insupportable différence, que Joachim Stein propose une solution complète, allant de l’usage des compléments alimentaires à la pratique de la chirurgie esthétique, et ayant pour unique objectif de nous aider à ressembler davantage à notre autre soi, notre avatar en ligne. Même le coiffeur du quartier est impliqué dans l’opération et propose des coupes de cheveux aussi extravagantes que celles des habitants de Second Life. Tout cela, bien entendu, sous le regard des multiples caméras de vidéosurveillance installées à Linz.
Une esthétique de la vidéosurveillance
Le prix le plus attendu du festival, depuis sa création est le Golden Nica en “Art Interactif”. Il revient cette année à l’artiste indien Ashok Sukumaran, auteur du dispositif “Park View Hotel” de 2006. Celui-ci est déjà connu de Gerfrid Stocker et Christine Schöpf, les directeurs artistiques d’Ars Electronica, pour avoir déjà remporté une mention d’honneur en 2005 avec “Glow Positionning System”. Ses deux installations/performances procèdent du même désir : celui d’offrir au passants la possibilité de contrôler partiellement, en 2005, un espace public et en 2006, des espaces privés. Le dispositif “Glow Positionning System” permettait en effet aux passants d’illuminer, dans un sens comme dans l’autre, les façades d’une place de Bombay en activant une manivelle, durant que celui intitulé “Park View Hotel” permettait à ceux, situés dans un parc de SanJosé, d’activer les lumières intérieures des chambres d’un hôtel. Et c’est avec ce second dispositif, semblable à un télescope, que le public de l’OK Centrum, où sont exposés les prix de l’année, peut “surveiller” les employés d’un bureau situé dans le bâtiment qui leur fait face. Ici encore, il est possible d’allumer à distance les lumières des espaces privés que l’on observe. Et les médiateurs de nous prévenir : « Les employés observés sont consentants ». Quel soulagement.
La pensée matérialisée
La performance des artistes japonnais Yoshimasa Kato et Yuichi Ito, “White Lives on Speaker”, s’articule aussi autour de l’idée d’une pensée matérialisée. Les performeurs proposent aux membres du public désireux de participer à l’expérience de saisir les ondes Alpha et Beta de leur cerveau en disposant des électrodes sur leurs crânes. Une mixture blanche faite d’amidon de pomme de terre et d’eau, à l’autre extrémité de ce “processus de conversion”, a été déposée sur la membrane d’un haut-parleur. Cette même mixture, dès lors que le haut-parleur émet des sons saccadés, s’anime au contact des vibrations de la membrane. Elle prend littéralement vie et chacun y voit ce qu’il veut, ce qu’il peut. Ici, un éléphant et là, des oreilles ou des asticots ! Le “film d’animation” qui se joue sous nos yeux pourrait aussi bien avoir été réalisé en trois dimensions et l’abstraction a cela de pratique que l’on s’y projette aisément. Et puis il y a le jeu des regards entre celui ou celle dont la pensée semble se matérialiser et ceux qui l’observent. Voit-il ce que je vois ? L’esprit de cette personne n’est-il pas foisonnant ! Peu de temps avant la fin de l’expérience, les artistes proposent aux “cobayes” volontaires de manipuler ces sculptures animées et par conséquent de toucher du doigt quelques pensées du moment, à moins que ce ne soit des sentiments de peur ou d’obsession ancrés plus profondément.
Du biologique dans l’art
Et s’il est une œuvre qui symbolise parfaitement l’usage des biotechnologies dans le champ de l’art, c’est bien Cloaca. Son auteur, l’artiste Belge Wim Delvoye en a du reste réalisé quatre versions, avec toujours le même objectif : concevoir artificiellement des excréments semblables en tout points à ceux des humains. La première version, inaugurée en 2000 à Anvers, est composée de six réservoirs de verre reliés par des tubes et contenant notamment bactéries et autres enzymes. Elle représente, sur une douzaine de mètres de long, un tube digestif humain. Elle est nourrie d’aliments en entrée pour rejeter la précieuse matière en sortie. L’idée n’est pas nouvelle puisque l’inventeur français Jacques de Vaucanson, au dix-huitième siècle, avait déjà conçu un canard automate qu’il prétendait capable de digérer la nourriture pour la rejeter sous forme de fiente. Quant à l’idée de considérer des matières fécales en tant qu’œuvres, elle est plus récente puisqu’il faut attendre le début des années soixante pour que l’artiste italien Piero Manzoni conditionne quelques-uns de ses excréments dans une série de boîtes de conserve intitulée “Merda d’Artista“. Notons que le prix au gramme de ces selles conditionnées a, depuis longtemps, dépassé celui de l’or. Mais revenons à Cloaca qui, dans sa seconde version peut être commandé à distance grâce à un modem embarqué. Ou quand l’art rencontre les sciences et les technologies ! On n'est donc guère surpris, en cette période de mobilité, de découvrir la version portable, ou plutôt transportable de Cloaca à Linz. Elle se nomme “Personal Cloaca” et se présente sous la forme d’une machine à laver “augmentée” d’une capacité : celle de produire de la merde. Mais quelle n’est pas la déception de ceux qui seraient tentés d’acquérir ses précieuses déjections lorsqu’ils apprennent sur le site Web “Cloaca.be” que la dernière des cent unités, emballées sous vide et signées de l’artiste, a été vendue en mars 2003. Article rédigé par Dominique Moulon pour Images Magazine, novembre 2007
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