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INTERVIEWS
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ARS ELECTRONICA, NATURE HUMAINE Le doyen des festivals dédiés aux arts, technologies et problématiques sociétales fête son trentième anniversaire avec un nouvel Ars Electronica Center. Quant à la thématique du symposium de cette édition 2009 organisée une fois encore par Gerfried Stocker et Christine Schöpf, elle s’articule autour de la notion de “Nature humaine”. Géminoïd l'androïde
La galerie principale du nouvel Ars Electronica Center regroupe quelques mini laboratoires à vocation pédagogique dont le RoboLab où le modèle “HI-1”, de la série des “Géminoïds”, est exposé. Ce dernier a été conçu à l’image du professeur Hiroshi Ishiguro de l’université d’Osaka et est entouré de quelques jeunes qui tentent en vain de le mettre en difficulté en le harcelant d’une multitude de questions d’ordre cinématographique ou musicale. Il a réponse à tout. Aussi, le lendemain je tente ma chance en le questionnant sur ses éventuels rêves ou quant à l’existence de Dieu ! Mais il semble moins loquace que la veille. Toutefois, je dois reconnaître qu’un sentiment bizarre m’envahit lorsque son regard croise le mien. Il semble respirer, bouge la tête et cligne des yeux. Il est même difficile de distinguer, en photographie, le créateur de son clone. Et c’est en montant à l’étage que je comprends qu’il ne s’agit en réalité que d’un “Fake”, dans la plus pure tradition des automates des XVIIIe et XIXe siècles. Car c’est un humain qui le contrôle. Il n’est pas question ici d’intelligence artificielle, mais bien de “présence humaine”.
Le “Device Art”
Le niveau 1 de l’Ars Electronica Center est en partie dédié à cette pratique, typiquement japonaise, que l’on qualifie de Device Art. Hiroo Iwata, professeur à l’université de Tsukuba, définit cette forme artistique en la situant à la convergence de l’art, de la technologie et du design tout en précisant que les œuvres produites sont souvent jouables et parfois commercialisées. Ryota Kuwakubo compte parmi les quelques artistes exposés avec deux pièces dont l’une est jouable alors que l’autre pourrait être commercialisée. La première se nomme “LoopScape” et se présente sous la forme d’un écran cylindrique, constitué de diodes électro luminescentes, sur lequel deux joueurs peuvent s’affronter. Ces derniers sont ainsi contraints de tourner autour de l’installation pour suivre leur propre vaisseau. Mais alors attention, car les missiles envoyés peuvent se retourner contre soi ! La seconde, intitulée “Nicodama”, est constituée de deux demi sphères inter connectées par une interface infrarouge et représentant des globes oculaires ayant la capacité de clignoter selon des rythmes aléatoires. Et quand l’artiste les suspend à une chaise des plus ordinaire, il l’humanise tout simplement durant que celle-ci nous observe.
Edunia le plantimal
Le très attendu Golden Nica en Art Hybride revient cette année à l’artiste américain Eduardo Kac pour son “Histoire Naturelle de l’Enigme” dont l’élément principal est une fleur qui n’existe pas dans la nature. Résultant de manipulations génétiques, celle-ci n’est autre qu’un hybride entre un pétunia et l’artiste lui-même. Edunia, c’est le nom de ce “Plantimal”, exprime les gènes d’Eduardo Kac dans les veines rouges de ses pétales roses. L’artiste a isolé, dans ses gènes, ceux qui autorisent l’identification des corps étrangers, aussi, nous dit-il : « C’est précisément ce qui identifie et rejette l’autre que j’ai intégré à l’intérieur de l’autre ». La portée symbolique de ce travail est évidente car la vie, ici, franchit la barrière des espèces. Ce pétunia, visuellement, est semblable en tout points à n’importe quelle autre fleur de la même espèce, mais il n’est pas une seule des cellules de ses veines rouges qui ne soit affectée par les gènes de l’artiste. Or c’est précisément cette singularité invisible qui la rend si particulière.
Un art de l’environnement
Le nom moins attendu Golden Nica en Art Interactif a été attribué à Lawrence Malstaf pour son installation ”Nemo Observatorium”. L’artiste belge a aussi donné la performance ”Shrink” durant l’inévitable soirée de la Ceremony Gala. Son installation permet aux visiteurs de l’exposition Cyberart de générer un tourbillon, constitué d’une multitude de billes de polystyrène, en activant des ventilateurs. Assi sur l’imposant fauteuil qui trône au centre d’un dispositif cylindrique et transparent, l’observateur nous apparaît comme étant dans l’œil d’un cyclone, isolé du monde extérieur par le flux incessant des particules en mouvement, contemplant le phénomène artificiel dont il est à l’origine. Il est encore question d’isolation durant la performance à laquelle participe Lawrence Malstaf dans l’auditorium de la Brucknerhaus. Les trois performers dont il fait partie se glissent entre deux films plastiques avant que le vide ne soit fait. Le public se retrouve ainsi face à des corps en suspend, emballé sous vide en cette période où la peur croissante des bactéries et autres virus influe sur nos comportements de tout les jours.
Dans la ligne de mire
“In the Line of Sight” est une installation dont l’élégante plasticité séduit autant qu’elle intrigue. Ce dispositif regroupe une centaine de lampes torche fixées sur des pieds de microphone. Elles sont toutes contrôlées numériquement et leur disposition dans l’espace permet de reconstituer des séquences vidéo sur le mur qui leur fait face. L’image qui en résulte, inévitablement, est totalement floue, aussi il est impossible de distinguer quelque forme que se soit dans cet assemblage d’ombres et de lumières. C’est du reste une spécialité que de reconnaître les mouvements dits “suspects” au sein de séquences vidéo préalablement acquises dans des conditions parfois extrêmes et souvent de basse résolution. Quant aux spectateurs, ils ont la possibilité de pénétrer dans la lumière, dans la ligne de mire de ces lampes torches de la marque du célèbre fabricant d’arme Smith & Wesson. Ainsi traqués, ils participent par leur gestualité de l’histoire qui se déroule sous leurs yeux dans les passages entre les ombres et les lumières.
Dans le silence ou presque
Nombreux sont les artistes contemporains, à l’instar de l’Allemand Jens Brand, qui travaillent sur la notion de perception. Ce dernier a reçu une mention d’honneur en Art Interactif pour son installation audiovisuelle intitulée “Red Psi Donkey”. Il s’agit d’un dispositif générant des ondes sonores inaudibles qu’une “caméra acoustique” transforme en image, celle d’un âne rouge. Mais attention, car toute présence humaine interférant avec l’espace sonore environnant induit une détérioration de cette représentation éphémère. Ainsi, si l’on considère l’affichage de cet âne rouge comme le résultat d’un processus artistique, le visiteur n’est autre que celui qui cause sa détérioration temporaire. En d’autres termes, cette œuvre atteindrait son idéal uniquement lorsqu’elle serait privée de tout spectateur, dans le silence ou presque. On pense alors à tous ces conservateurs qui préservent du public les œuvres les plus fragiles de leurs collections de peur qu’elles ne s’abîment, comme aux fresques antiques, dans “Fellini Roma”, qui disparaissent sous les yeux de ceux qui les découvrent.
En lévitation
Evelina Domnitch et Dmitry Gelfand, dont les recherches communes consistent à explorer des phénomènes physiques à des fins artistiques, comptent parmi les habitués du festival. La performance avec laquelle ces derniers ont obtenu une mention d’honneur en Art Hybride s’intitule “Sonolevitation”. Elle exploite un phénomène connu en physique sous le nom de lévitation acoustique permettant de faire “flotter” des objets dans l’espace en les soumettant à des ondes sonores. Evelina Domnitch, durant la performance, manipule avec délicatesse des fragments d’or. Placés dans le champ d’ondes sonores à l’aide d’une pince, ces fragments de métal précieux semblent échapper à la gravité en tournoyant sur eux-mêmes, plus ou moins vite, selon des hauteurs différentes, tout en interférant les une sur les autres. Les ondes, traitées en temps réel par Dmitry Gelfand, envahissent progressivement l’espace sonore durant que l’attention des spectateurs se focalise sur les fragments qui lévitent. Quant à l’usage de l’or, il renvoie à l’évocation, en peinture, d’un espace divin ou même les corps échappent à l’attraction terrestre.
En grand nombre
Enfin, Antoine Schmitt et Jean-Jacques Birgé ont obtenu une distinction dans la catégorie Musiques Numériques pour la performance “Nabaz'mob” qui rassemble sur scène une centaine de lapins communicants. Les deux artistes connaissent bien ces lapins Nabaztag pour avoir conçu, l’un, leurs comportements d’interactivité et l’autre, leur design sonore. Il y a quelque chose d’inquiétant dans ce rassemblement de lapins qui bougent lentement les oreilles et s’illuminent. Ils répondent aux sollicitations des artistes avec un retard pouvant atteindre dix secondes. Aussi, de cette synchronicité relative émerge une sorte de flux semi contrôlé aux allures de maelstrom sonore. C’est en mai 2006 que cet opéra pour cent lapins intelligents a été donné pour la première fois, quand les spectateurs étaient venus avec leur propre Nabaztag. Plus récemment, se sont d’autres lapins qui ont été rassemblés au Musée des Arts Décoratifs sous la forme d’une installation qui renforce l’aspect inquiétant lié au nombre important de Nabaztag jouant ensemble, ou presque ensemble. Article rédigé par Dominique Moulon pour Images Magazine, novembre 2009.
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